Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 70
Le mardi 18 octobre 2022
L’honorable George J. Furey, Président
- Les travaux du Sénat
- Nouvelle sénatrice
- Visiteurs à la tribune
- Félicitations à l’occasion de sa nomination
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- La Loi de l’impôt sur le revenu
- Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
- Le Sénat
- Le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs
- La sanction royale
- L’autogouvernance du Sénat
- Le Sénat
- La violence entre partenaires intimes
LE SÉNAT
Le mardi 18 octobre 2022
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il y a eu des consultations, et il a été convenu de permettre la présence d’un photographe dans la salle du Sénat pour photographier la présentation d’une nouvelle sénatrice aujourd’hui.
Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
[Français]
Nouvelle sénatrice
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que le greffier du Sénat a reçu du registraire général du Canada le certificat établissant que Flordeliz Osler a été appelée au Sénat.
Présentation
Son Honneur le Président informe le Sénat que la sénatrice attend à la porte pour être présentée.
L’honorable sénatrice suivante est présentée, puis remet les brefs de Sa Majesté l’appelant au Sénat. La sénatrice, en présence du greffier du Sénat, prête le serment prescrit et prend son siège.
L’honorable F. Gigi Osler, de Winnipeg, au Manitoba, présentée par l’honorable Marc Gold, c.p., et l’honorable Mary Jane McCallum.
Son Honneur le Président informe le Sénat que l’honorable sénatrice susmentionnée a fait et signé la déclaration des qualifications exigées prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d’attester cette déclaration.
[Traduction]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune des membres de la famille de notre nouvelle sénatrice : son mari, John Osler, sa fille, Juliana Osler, son fils, Colin Osler et sa mère, Flordeliza Sharma. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Osler.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Félicitations à l’occasion de sa nomination
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, quel plaisir pour moi d’accueillir notre nouvelle collègue, la sénatrice Flordeliz (Gigi) Osler. La sénatrice Osler est une fière Manitobaine de naissance, d’origine philippine et indienne. Ses expériences et ses réalisations professionnelles sont des plus impressionnants. Elle est chirurgienne, professeure adjointe et militante pour la diversité, l’équité et l’inclusion, en plus d’être une ancienne présidente de l’Association médicale canadienne et une mentore pour des étudiants philippins par l’entremise de l’association philippine des étudiants en médecine, au Manitoba. Elle est présidente de la Fédération des femmes médecins du Canada depuis 2021, présidente du Forum médical canadien depuis 2020, et vice‑présidente du groupe de travail sur les soins virtuels depuis 2019.
(1410)
En 2018, à titre de présidente de l’Association médicale canadienne la sénatrice Osler a ouvertement appuyé les efforts de la sénatrice Boyer pour mettre fin à la stérilisation forcée et contrainte des femmes autochtones, inuites et métisses, et elle s’est engagée à ce que cette association collabore avec le groupe de travail fédéral‑provincial mis sur pied par le gouvernement.
La sénatrice Osler a formé des chirurgiens en Afrique à titre bénévole et, pendant ses deux années à la tête de l’Association médicale canadienne, elle a mis en place la première politique interne en matière d’équité et de diversité au sein de cet organisme.
Toutefois, pour des dizaines de milliers de personnes, la sénatrice Osler est peut-être mieux connue sur TikTok comme sommité en matière de COVID. Dès le début de la pandémie, la sénatrice Osler a exprimé le souhait de sensibiliser les jeunes, dans la vingtaine et la trentaine, qui se fient en grande partie aux médias sociaux pour s’informer. De l’avis de la sénatrice, la meilleure façon de sensibiliser ce segment de la population consiste à fournir de l’information sur la plateforme la plus populaire. Ainsi, en mars 2020, elle a publié un première courte vidéo montrant les meilleures techniques de lavage des mains pour stopper la propagation de la COVID. La vidéo a fait fureur. Elle a ensuite publié des dizaines d’autres vidéos montrant et expliquant comment se protéger et éviter les confinements.
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait choisi ce média pour faire passer son message, elle a expliqué qu’il s’agissait du moyen le plus simple de faire comprendre aux gens comment continuer à vivre au mieux même au milieu d’une pandémie. Elle a dit :
Voilà le message que j’essaie de communiquer, un message d’espoir. Ce n’est pas un message de peur.
La sénatrice Osler a également élargi son enseignement sur TikTok afin d’inclure une courte leçon d’histoire sur la Fédération des femmes médecins du Canada, dont elle est la présidente.
Chers collègues, je vous suggère de prendre les 48 secondes nécessaires pour en apprendre plus sur les fondatrices de la fédération et la rebuffade essuyée lors de la conférence de l’Association médicale canadienne de 1924, qui est la raison d’être de l’organisation.
Sénatrice Osler, votre expérience et vos talents sont un ajout bienvenu au Sénat. Au nom de mes collègues du bureau du représentant du gouvernement, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada et j’ai bien hâte de travailler avec vous.
Des voix : Bravo!
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, au nom de l’opposition et du caucus conservateur du Sénat, je suis moi aussi heureux de prendre la parole dans cette enceinte pour souhaiter la bienvenue à notre nouvelle collègue.
Bien que le Manitoba ait possiblement perdu une excellente médecin et chirurgienne, je suis convaincu que le Sénat gagne une autre voix forte de cette province. En tant que doyen de la belle province du Manitoba, d’où nous sommes tous deux originaires, j’ai le plaisir de vous souhaiter la plus cordiale bienvenue au Sénat du Canada, honorable Flordeliz Osler. Sachez que toutes les personnes dans cette enceinte ont très hâte de collaborer avec vous pour faire progresser les divers dossiers.
Alors que vous balayez du regard cette enceinte pour trouver vos repères, sachez que nous avons tous ressenti la même excitation et cette grande nervosité quand nous avons été assermentés. J’espère que vous serez rassurée de constater non seulement que vous êtes entourée de collègues et de futurs amis, mais que vous avez joint une nouvelle famille — la famille du Sénat.
Tout comme une famille typique, les membres de notre famille du Sénat ont des opinions et des points de vue divergents. Les membres de notre famille représentent différentes régions et idées et, même s’ils sont parfois en désaccord, ils placent toujours les intérêts des Canadiens au premier plan de leurs décisions.
En entamant ce nouveau rôle, vous ressentirez le poids des responsabilités qui vous ont été confiées en tant que sénatrice. J’ai confiance qu’au cours des jours, des mois et des années à venir, pendant les délibérations, vous n’oublierez jamais notre devoir — le vôtre et le mien —, qui consiste à défendre les intérêts des Manitobains et de l’ensemble des Canadiens.
Tous les sénateurs apportent un point de vue unique à nos débats et à nos discussions, et j’ose espérer que vous en ferez autant. J’ai hâte d’entendre une autre voix forte représenter les intérêts de notre province.
Les Canadiens ne voient pas seulement le Sénat comme un lieu de second examen objectif et de diligence raisonnable. Ils le voient aussi comme une source d’espoir, d’espoir que leur voix y soit entendue, que leurs préoccupations deviennent les nôtres et qu’ensemble, les sénateurs tracent le meilleur chemin pour tous, en particulier les groupes minoritaires, et ce dans l’ensemble de notre magnifique pays.
Le caucus conservateur est déterminé à faire en sorte que les voix de tous les Canadiens soient bien représentées à Ottawa et que nous, les parlementaires, travaillions pour eux et les défendions.
Comme je l’ai dit au sénateur Shugart il y a à peine plus d’une semaine, vous êtes déjà du bon côté du Sénat. Vous pouvez vous déplacer d’un siège si vous le souhaitez. Vous seriez accueillie à bras ouverts.
Au nom de l’opposition et du caucus conservateur, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
[Français]
L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorable sénatrice Flordeliz Gigi Osler, tous mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants se joignent à moi pour vous souhaiter la plus chaleureuse des bienvenues et pour saluer également les membres de votre famille, pour qui cette journée demeurera toujours très marquante dans l’histoire de votre vie. Donc, nous adressons nos meilleures salutations à votre famille.
[Traduction]
Madame la sénatrice, vous avez montré à plusieurs reprises que vous êtes une femme très active et très dynamique, puisque vous trouvez le temps non seulement de vous occuper de vos patients, mais aussi de jouer un rôle de premier plan dans votre association professionnelle en plus de partager vos connaissances et votre expertise dans plusieurs universités du Canada et d’ailleurs dans le monde. Ajoutons que depuis plusieurs années, docteure Osler, vous participez bénévolement à la formation de chirurgiens en Afrique, en collaboration avec le Massachusetts Eye and Ear Institute, l’Université Harvard, l’Université de la Colombie-Britannique, l’Université du Manitoba, et la Société canadienne d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale.
Ces éléments biographiques sont déjà très impressionnants, mais ils ne s’arrêtent pas là. Vous militez aussi avec ardeur pour l’équité, la diversité et l’inclusion, et votre nomination s’inscrit dans le prolongement d’une longue carrière pendant laquelle vous avez mis votre professionnalisme, votre intégrité et vos compétences au service du public.
Sénatrice Osler, à l’époque où vous étiez simplement, pour la plupart des gens, la Dre Osler, vous avez déclaré ceci :
J’ai pu constater, dans mon travail, combien il est important de dire aux patients qui s’apprêtent à subir une chirurgie que nous sommes tous là pour eux, et de voir à ce qu’ils se sentent en confiance et entre bonnes mains.
Tandis que commence un nouveau chapitre de votre illustre carrière, je ne peux m’empêcher de penser à cette phrase et au fait que, malgré votre grande expertise en tant que chirurgienne, vous réalisez à quel point il est important de rassurer vos patients sur ce qu’ils vont bientôt subir. À plus grande échelle, qu’il s’agisse de la communauté manitobaine, de la communauté philippine ou de tous les citoyens du pays que vous représenterez dans vos nouvelles fonctions, je n’ai aucun doute que vous exercerez votre rôle avec la plus grande empathie, et nos concitoyens canadiens auront certainement l’assurance qu’ils sont effectivement « entre bonnes mains ».
Sénatrice Osler, vous apporterez une perspective unique à nos discussions, et je suis persuadée que vous garderez à l’esprit notre devoir de veiller aux intérêts de tous les Canadiens avec le soin, le dévouement et la patience qui ont marqué votre carrière jusqu’à présent.
Vous avez dit à quel point vous aimez être dans une salle d’opération. C’est un amour que je ne partage pas. Même si cela n’en a pas l’air, les questions que nous traitons au Sénat peuvent être délicates par nature et exigent rigueur et précision. Je ne doute pas que vous réussirez avec brio.
Aujourd’hui, vous entamez officiellement au Sénat un nouveau chapitre de votre vie. Je profite de l’occasion pour exprimer combien tous les membres du Groupe des sénateurs indépendants ont hâte de travailler avec vous. Avec votre riche parcours, votre dynamisme indéniable et votre approche à la fois moderne et innovante — comme nous l’avons constaté sur TikTok —, nous ne pouvons que nous réjouir de votre formidable contribution à l’avenir du Sénat, surtout avec le grand avantage du temps dont vous bénéficiez.
(1420)
Sénatrice Osler, bienvenue à la Chambre haute.
Des voix : Bravo!
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de me joindre aux autres leaders pour accueillir la nouvelle sénatrice Osler au Sénat du Canada.
Sénatrice Osler, comme nous le savons, vous avez été présidente de l’Association médicale canadienne, soit la première femme chirurgienne et la première femme racisée à porter ce titre. Or, vous réalisez ici une autre première en étant la première femme d’origine philippine à être nommée à cette Chambre. J’ai aussi entendu dire que vous pourriez être la première femme chirurgienne à porter le titre de sénatrice. Nous avons beaucoup de chance de vous compter parmi nous.
Par la voie de votre engagement envers la diversité, l’équité et l’inclusion, je sais que vous êtes bien consciente du pouvoir de la représentation. Cela compte pour un grand nombre d’entre nous ici, qui sommes fiers que le Sénat donne la parole à des groupes historiquement sous-représentés, et votre nomination honore cet engagement de deux façons.
Dans votre nouveau poste ici, vous serez une fois de plus un modèle à suivre, puisqu’un groupe auparavant non représenté pourra désormais se faire entendre au Sénat du Canada. Nous savons à quel point cela est important. Cela s’avère également précieux pour notre travail, car la variété des points de vue renforce notre équipe. Nous sommes toujours reconnaissants d’entendre une nouvelle perspective lorsque nous examinons les nombreuses questions qui nous sont soumises.
Votre travail en politique publique démontre également que vous serez à votre place ici, puisque vous vous êtes intéressée à des sujets tels que les soins aux aînés, les effets du changement climatique sur la santé et, comme je l’ai mentionné, l’équité et la diversité. Je suis convaincue que je ne suis pas la seule à me demander à quoi vous allez vous intéresser par la suite. Peut-être le découvrirons-nous sur TikTok.
Sénatrice Osler, au nom du Groupe progressiste du Sénat, j’ai le plaisir de vous souhaiter officiellement la bienvenue au Sénat du Canada. Nous avons hâte de travailler avec vous.
Des voix : Bravo!
L’honorable Scott Tannas : Au nom du Groupe des sénateurs canadiens, j’aimerais ajouter ma voix à celle de mes collègues aujourd’hui pour souhaiter la bienvenue à la sénatrice F. Gigi Osler au Sénat du Canada. Mes collègues ont souligné vos nombreuses réalisations et distinctions. Permettez-moi de lire quelques déclarations provenant de l’extérieur de cette enceinte et qui illustrent bien que la sénatrice Osler est tout à fait à sa place ici.
La Direction des soins chirurgicaux mondiaux de la Faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique avait ceci à dire au sujet de votre nomination :
Flordeliz (Gigi) Osler est une chirurgienne de renommée internationale qui pratique à Winnipeg, une professeure adjointe à l’Université du Manitoba et une fervente militante en faveur de l’équité, de la diversité et de l’inclusion. […] La Dre Osler est connue pour son rôle actif et son dévouement au sein de la communauté médicale au Canada et à l’étranger. […] Félicitations à la Dre Osler!
Le Dr Rey Pagtakhan, ancien ministre des Anciens Combattants et premier Canadien d’origine philippine à avoir été élu à la Chambre des communes, a déclaré :
Je suis très heureux, et c’est une bonne nouvelle pour notre communauté et notre pays qu’une femme de talent ait été choisie par le premier ministre.
Même l’ambassade du Canada à Manille s’est empressée de la féliciter :
Félicitations à la Dre F. Gigi Osler pour sa nomination au Sénat du Canada. […] La Dre Osler est un modèle, une directrice de recherche et une mentore pour les étudiants en médecine philippins et d’autres groupes racialisés du Manitoba et du Canada, notamment au sein de l’Association philippine des étudiants en médecine du Manitoba.
De tels hommages nous indiquent clairement que votre expertise et votre expérience seront fort utiles lorsque le Sénat s’efforcera d’améliorer les conditions de vie des Canadiens.
Sénatrice, j’ai vu certaines de vos nombreuses vidéos en ligne. Elles sont tout à fait remarquables. Votre enthousiasme, votre ouverture et votre aptitude à communiquer avec des gens des toutes les générations sont exceptionnels. Vos talents seront fort utiles au Sénat. Sur le plan personnel, je dirais que vous devriez arborer dans cette enceinte votre t-shirt qui dit : « La place d’une femme est dans la Chambre et au Sénat. » Je suis tout à fait d’accord.
Ce message est particulièrement pertinent en cette Journée de l’affaire « personne ». Encore une fois, je vous souhaite la bienvenue au Sénat, Gigi. Au Groupe des sénateurs canadiens, nous avons hâte de travailler avec vous.
Des voix : Bravo!
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Le Mois des bibliothèques au Canada
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner que le mois d’octobre est le Mois des bibliothèques au Canada et que le 21 octobre, vendredi prochain, est la Journée canadienne des employés des bibliothèques.
Les bibliothèques sont d’immenses sources de connaissances et la preuve que l’information est véritablement une richesse collective. Les bibliothécaires jouent un rôle particulièrement important : ils nous aident à naviguer dans un monde d’information en nous offrant les livres et les outils dont nous avons besoin pour réussir. Dans le cadre de mon rôle de sénatrice, et encore plus dans celui d’enseignante, j’ai constaté personnellement comment les bibliothèques et les livres peuvent contribuer à stimuler l’imagination, l’empathie et le sens du devoir civique.
Cette année, le thème du Mois des bibliothèques au Canada est « Une carte, un million de possibilités ». Dans les bibliothèques de la Nouvelle-Écosse, les programmes offerts incluent une aide à la planification de carrière et à la recherche d’emploi, des services de soutien offerts aux immigrants, des groupes de conversation pour améliorer sa maîtrise d’une langue, une assistance technique et des cours d’informatique, des services de soutien au logement, des programmes de bien-être et de santé, des séances d’information pour les propriétaires de petites entreprises, la lecture de contes et d’autres activités pour les bébés et les enfants, des lectures d’auteurs, des clubs de lecture, des soirées cinéma, des cafés communautaires, des programmes destinés aux parents, des cours de cuisine pour adolescents, des expositions de photographies, des cours de musique et de danse, des clubs de tricot et de fabrication de courtepointes, des groupes de course, du conditionnement physique sur chaise et des événements avec l’artiste mi’kmaw Alan Syliboy, l’artiste et innovateur en résidence des bibliothèques publiques d’Halifax.
Chers collègues, la liste ne s’arrête pas là.
Vous constatez que les bibliothèques ne font pas que prêter des livres. Ici, à Ottawa, on peut y accéder à une imprimante 3D ou à un instrument de musique, y emprunter des laissez-passer pour visiter les musées ou pour aller faire du ski ou de la raquette dans un parc provincial des environs, ou même y emprunter un télescope pour regarder les étoiles. De plus en plus, les Canadiens organisent une variété de services de prêt sur le modèle des bibliothèques, que ce soit pour des outils ou du matériel de camping. On trouve également de mini-bibliothèques libre-service à bien des coins de rue qui invitent voisins et passants à prendre un livre ou à y en déposer un pour le suivant.
Nous en demandons beaucoup à nos bibliothèques et à leur personnel. Pendant la pandémie, beaucoup de bibliothèques sont également devenues des centres de distribution pour les banques alimentaires, des cliniques de vaccination ou des centres de dépistage. Des membres du personnel vérifiaient l’état de santé des aînés pendant les périodes de confinement. Bien que leur principal mandat consiste à nous guider dans notre quête de renseignements, les bibliothécaires sont de plus en plus fréquemment appelés à tenir lieu de travailleurs sociaux de facto et, dans certains cas, d’intervenants d’urgence. Certaines bibliothèques offrent maintenant des services de soutien consacrés à la santé mentale et aux dépendances, et dans plusieurs bibliothèques au pays, le personnel est formé sur l’utilisation des trousses de naloxone en réponse à la crise des opioïdes.
Chers collègues, les bibliothèques sont tellement plus qu’un simple endroit où trouver des livres. Elles créent des liens entre les gens et les idées et contribuent à bâtir des communautés dynamiques. Les bibliothèques nous rassemblent. Que vous soyez fièrement titulaire d’une carte de bibliothèque, visitiez la bibliothèque de votre quartier, y fassiez du bénévolat ou publiiez sur les médias sociaux un message d’appui ou de remerciement à l’intention du personnel d’une bibliothèque, je vous invite à vous joindre à moi et à manifester ce mois-ci votre reconnaissance pour tout ce qu’offrent ces merveilleux établissements.
J’aime ma carte de bibliothèque, et j’aime ma bibliothèque.
Merci.
Des voix : Bravo!
L’honorable Vernon White
L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à notre ancien collègue Vern White, qui a pris sa retraite du Sénat il y a deux semaines après y avoir siégé pendant une décennie. Le sénateur White ne voulait pas que nous lui rendions officiellement hommage ni que nous fassions grand cas de son départ, mais nous ne pouvions pas le laisser quitter le Sénat sans dire au moins quelques mots pour saluer ce parlementaire hautement respecté, que nous apprécions grandement.
Le sénateur White a passé 42 ans dans la fonction publique. En tant qu’agent de la GRC, il a travaillé partout au Canada, y compris dans les trois territoires du Nord. Sa carrière dans les forces de l’ordre a culminé avec le poste de chef du Service de police d’Ottawa, poste qu’il a occupé pendant cinq ans.
(1430)
Pendant sa carrière dans les forces de l’ordre, le sénateur White était tenu en très haute estime par les membres ordinaires du service de police. Il avait gagné leur respect et leur loyauté grâce à sa façon unique de « diriger en arrière-plan ». Il s’agit d’un style de leadership engagé qui consiste à fournir aux gens les ressources dont ils ont besoin pour donner le meilleur d’eux-mêmes dans l’exercice de leurs fonctions.
Le sénateur White a fait profiter le Sénat de ses décennies d’expérience et de leadership lorsqu’il est devenu sénateur en 2012. Grâce à son expertise en matière de sécurité publique, il a apporté une contribution importante au Sénat. Il a été membre de plusieurs de nos comités et a présidé le Comité des peuples autochtones, comme il s’appelait alors, ainsi que le Comité du Règlement. Il a également présidé le Comité consultatif du Président du Sénat sur la sécurité et a longtemps été membre du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.
Ceux d’entre nous qui ont appris à bien le connaître au fil des ans savent que le sénateur White est une personne très généreuse. C’était peut-être particulièrement évident dans son rôle auprès d’un large éventail d’organismes communautaires, notamment le Centre de traitement pour jeunes Dave Smith, la Fondation du cancer de la région d’Ottawa et le centre de désintoxication d’Ottawa. La résolution de la crise des opioïdes et de la toxicomanie dans nos collectivités est un sujet qui lui tient beaucoup à cœur.
Le sénateur White a pris sa retraite du Sénat pour déménager en Finlande avec sa femme et sa fille. Bien sûr, ce n’est pas vraiment une retraite, puisqu’il enseigne toujours à l’université et partage son expérience avec des étudiants et des services de police du monde entier.
Tout le monde est un ami de Vern White. Peu importe qui vous êtes ou quel poste vous occupez, il vous regarde toujours dans les yeux et vous appelle « buddy ». Vous avez l’impression d’être deux vieux amis du Cap-Breton.
Vern, votre sens de l’humour et votre leadership tranquille nous manqueront au Sénat. Nous vous souhaitons la meilleure des chances pour ce nouveau chapitre de votre vie.
Des voix : Bravo!
La cérémonie du « screech-in » à Terre-Neuve
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je suis heureux de vous présenter aujourd’hui le chapitre 65 de « Notre histoire ».
Aujourd’hui, je vais vous parler d’un hommage satirique à l’histoire de Terre-Neuve-et-Labrador appelé le « Screech-in ». Cela pourrait vous donner une raison de plus pour visiter notre belle province.
Il y a longtemps, avant l’adoption de la moindre règle ou réglementation concernant la vente de spiritueux dans la province, on expédiait du poisson salé de Terre-Neuve vers les Antilles en échange de rhum. Le poisson est ainsi devenu le plat national de la Jamaïque, et le rhum foncé l’alcool traditionnel des Terre-Neuviens. À l’époque, il n’y avait pas de nom pour ce rhum à 80 % d’alcool, et cette merveilleuse boisson aurait pu rester sans nom particulier, n’eût été la présence de soldats américains à Terre-Neuve pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Selon la légende, lors d’une visite dans un pub, un militaire américain a vidé d’un trait son verre de rhum. Ses cris de détresse ont poussé un autre client à voler à son secours en s’exclamant : « Bon Dieu, quel était cet épouvantable cri — ou screech? » Un Terre-Neuvien assis près de là répondit simplement : « Le screech? C’est le rhum, mon garçon. »
La nouvelle de l’incident se répandit. De plus en plus de soldats en visite commencèrent à goûter à ce mystérieux rhum et l’adoptèrent. Une légende était née. Le nom « screech » est resté, et aujourd’hui ce rhum a sa place bien à lui dans la culture terre‑neuvienne.
Puis, en 1974, alors qu’il se préparait à une conférence de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants à St. John’s, Merle Vokey a eu l’idée de la cérémonie du « screech‑in » pour surpasser ce qui avait été fait l’année précédente dans une autre province. Aujourd’hui, il s’agit sans doute de la tradition la plus commercialisée de Terre-Neuve. Celui qui accomplit la cérémonie du « screech‑in » devient un Terre-Neuvien à titre honorifique. C’est le nec plus ultra.
Maintenant, pour ceux qui n’ont pas encore assisté à une telle cérémonie, et surtout pour ceux qui aimeraient le faire, laissez-moi vous parler des particularités de l’événement.
La cérémonie peut avoir lieu n’importe où dans la province, par exemple dans la cuisine de quelqu’un, sur un quai, dans le centre communautaire local ou dans l’un des pubs et des bars de la célèbre rue George à St. John’s; la seule condition étant qu’elle soit dirigée par un Terre-Neuvien d’origine. Il n’y a pas d’exception à cette règle.
Il existe des variantes de la cérémonie dans différentes régions de la province. L’événement commence généralement avec une bonne musique terre-neuvienne en fond sonore et l’entrée du maître de cérémonie, appelé « maître screecher », vêtu d’un imperméable de pêcheur ou au moins d’un suroît. Il ou elle annonce qu’il y a des gens venant de loin dans la salle — on les appelle les CFA ou « come from away » pour ceux qui ne le savent pas — et qu’ils veulent devenir Terre-Neuviens.
On invite les participants à se présenter en précisant d’où ils viennent, puis on leur remet un verre contenant un peu de screech qu’ils doivent tenir dans leurs mains. Les chanceux auront plus qu’un peu de screech dans leur verre, mais je m’écarte du sujet.
Les participants tiennent fermement leur verre de screech, et le maître screecher leur demande s’ils veulent devenir des Terre‑Neuviens, et ils doivent répondre par l’affirmative en prononçant avec enthousiasme : « Yes, by ».
Puis, on demande à chaque participant s’il est Terre-Neuvien, et la réponse est toute faite, mais je ne la prononcerai pas dans cette enceinte aujourd’hui. Par contre, en voici une traduction : « Oui, mon vieil ami, qu’il y ait toujours du vent dans tes voiles. »
La prochaine consiste à manger un « steak des Newfies », c’est‑à‑dire une tranche de saucisson de Bologne. Puis, on approche un poisson — le plus souvent, une morue — de la bouche du participant afin qu’il y dépose un baiser. Le poisson est parfois gelé, mais si vous êtes chanceux, ce sera une morue fraîchement pêchée qui agitera la queue au moment de recevoir son doux baiser.
L’étape finale de la cérémonie consiste à avaler d’un coup le verre de screech. Quand c’est fait, les participants reçoivent le titre de « Terre-Neuvien d’honneur » et un certificat officiel pour le prouver au retour à la maison.
Donc si vous prévoyez venir faire un tour dans ma province, faites-moi signe. Je vous aiderai avec plaisir à organiser une cérémonie de « Screech-in ». Je vous souhaite d’avoir encore longtemps le vent dans les voiles!
L’Agence spatiale canadienne
L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, l’an dernier, à Noël, la fusée qui transportait le télescope spatial James Webb a décollé de la Guyane française. C’était le début d’une ère de découvertes scientifiques qui devrait permettre d’éclairer certains des mystères les plus durables de l’univers, qui nous ont été cachés jusqu’ici.
Le télescope James Webb, qui est en orbite à 1,5 million de kilomètres de la Terre et dont les miroirs et le bouclier solaire, de la taille d’un court de tennis, doivent essentiellement être dépliés à distance, est une merveille d’ingénierie. C’est le fruit de plusieurs décennies de travail et de collaboration entre la NASA, l’Agence spatiale européenne et l’Agence spatiale canadienne. Aujourd’hui, je m’attarderai bien sûr sur la façon dont le Canada participe à ce projet.
Le détecteur de guidage de précision, conçu au Canada, est essentiel au fonctionnement du télescope. Conçu pour trouver et accrocher des cibles cosmiques, il est crucial pour rendre possibles les images à exposition prolongée nécessaires à un travail scientifique de qualité.
Certains d’entre vous ont peut-être vu l’une des premières images publiées par l’équipe du télescope James Webb en juillet. On peut y voir, sur fond écarlate, un champ d’étoiles et de galaxies, dans lequel certaines étoiles paraissent noires et où la réfraction crée de longues pointes. Cette image a été capturée grâce au détecteur de guidage de précision. Elle visait à servir de test, mais elle donnait déjà un aperçu de ce qui allait suivre.
L’autre élément fourni par l’Agence spatiale canadienne est l’imageur et spectrographe sans fente dans le proche infrarouge, ou NIRISS. À l’aide d’une caméra sensible aux longueurs d’onde infrarouges, le NIRISS capte la lumière infrarouge émise par les objets et recueille des informations sur les spectres de planètes lointaines. C’est à cet égard que le télescope James Webb contribuera véritablement aux découvertes scientifiques, notamment grâce à sa capacité à examiner la composition de l’atmosphère d’exoplanètes en orbite autour d’autres étoiles. Ce faisant, les scientifiques seront en mesure de déterminer si ces planètes contiennent de l’eau, du méthane, de l’oxygène et d’autres molécules liées à la vie sur terre.
Sénateurs, si vous vous posez la question et si vous avez oublié, c’était la matière présentée aux environs du troisième mois de votre cours de physique de 11e année, lorsque vous avez étudié la réfraction de la lumière, les télescopes et toutes sortes de choses dans ce domaine.
En échange de leur contribution au projet, les scientifiques canadiens se voient garantir une part du temps d’observation avec le télescope James Webb. Cela signifie que nos scientifiques joueront un rôle de premier plan dans des découvertes scientifiques révolutionnaires, qui pourraient nous renseigner non seulement sur la vie que pourraient abriter d’autres planètes, mais aussi sur la formation des premières étoiles et galaxies, il y a quelque 13 milliards d’années, ainsi que sur les mystères de la matière noire, qui représente environ 85 % de la masse de l’univers, mais dont nous savons très peu de choses.
Je suis impatiente d’entendre ce qu’ils ont à nous dire, et je suis certaine que vous l’êtes aussi. Merci, meegwetch.
Des voix : Bravo!
L’International Metropolis Conference
L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Tony Loffreda de ses observations fort élogieuses et bien aimables à mon sujet hier. Malheureusement, je n’étais pas au Sénat. Attribuons cela aux caprices d’Air Canada. Mais je lui suis vraiment reconnaissante pour ses observations. Je dois vous dire que le sénateur Loffreda a aussi reçu un vrai traitement de vedette, surtout lorsque ses propos fort pertinents s’inscrivaient dans le contexte de sa passionnante histoire personnelle. Sénateur Loffreda, je serais heureuse de voyager avec vous n’importe quand. Nous formons une belle équipe.
Je suis revenue de cette conférence avec trois défis distincts, mais interconnectés. Le premier concerne la montée en flèche du nombre de personnes déplacées dans le monde. Chers collègues, il ne faut pas prendre ces chiffres à la légère. Il y a maintenant 100 millions de personnes déplacées dans le monde. En plus de cette augmentation du nombre de personnes déplacées, il existe une autre tendance inquiétante, soit l’effondrement de la gouvernance et de la solidarité dans le monde.
(1440)
Deuxièmement, il y a une crise des migrations climatiques qui se profile à l’horizon. Selon les estimations de l’Organisation internationale pour les migrations, ou OIM, 1,5 milliard — j’ai bien dit « milliard » et non « million » — de personnes seront déplacées. Nous ne savons pas où elles iront ni comment elles se mettront en sécurité.
Troisièmement, un nombre croissant de travailleurs qu’on dit peu spécialisés se déplacent pour travailler et combler les lacunes du marché du travail dans des secteurs essentiels au sein des pays de l’OCDE, et ce, sans avoir de certitudes quant à leur avenir, et sans prévisibilité pour les employeurs. En Allemagne, des Allemands m’ont raconté ce qu’ils ont observé sur le terrain avec les travailleurs invités, qu’on appelle les Gastarbeiter. En résumé, ils m’ont dit : « Nous voulions des travailleurs, mais nous n’avions pas pensé que nous allions recevoir avant tout des êtres humains. » Tâchons de garder cette expérience à l’esprit.
Malheureusement, dans tous les cas, il y a de moins en moins d’efforts multilatéraux, alors qu’il en faut plus. J’ai cependant vu un aspect positif dans les efforts bilatéraux, car les politiques et les valeurs de l’Allemagne s’accordent avec celles du Canada, que ce soit en matière d’énergie, de commerce, de changements climatiques ou d’immigration. En tant que membre du Groupe interparlementaire Canada-Allemagne, j’ai hâte de travailler à approfondir ces relations bilatérales dans les prochaines années, sous la direction compétente de notre président, le sénateur Boehm.
Des voix : Bravo!
AFFAIRES COURANTES
La vérificatrice générale
Dépôt des rapports de l’automne 2022
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports de l’automne 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada, conformément à la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, par. 23(5).
PÉRIODE DES QUESTIONS
Le patrimoine canadien
L’approbation du financement
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Ma question aujourd’hui s’adresse à nouveau au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, je tiens à donner suite à la question que je vous ai posée hier, dans laquelle j’ai indiqué que le Cabinet du premier ministre, ainsi que le ministre Hussen, sont restés les bras croisés pendant plus d’un mois.
Laissez-moi le répéter, sénateur Gold. Il leur a fallu plus d’un mois pour condamner publiquement les gazouillis désobligeants d’un consultant du gouvernement qui a reçu des fonds des contribuables. Cette histoire était déjà scandaleuse lorsque nous avons appris que le ministre était au courant de la situation depuis plus d’un mois avant de faire quoi que ce soit, mais elle a pris une nouvelle ampleur. Le Cabinet du premier ministre — la plus haute fonction du pays — était au courant, et il lui a également fallu plus d’un mois après avoir été informé de la situation pour condamner publiquement les gazouillis antisémites de Laith Marouf.
Je suis incapable de trouver une logique à tout cela. Espérait-on que ces propos xénophobes, racistes et antisémites allaient simplement disparaître d’un coup de baguette magique? Le gouvernement Trudeau s’est égaré, monsieur le leader. Les Canadiens méritent un meilleur leadership que celui-là. Ce qui est encore plus insensé, c’est que le premier ministre lui-même a dit que le gouvernement avait agi rapidement.
La question que je vous pose, sénateur Gold, est simple : croyez‑vous que c’est agir rapidement que de prendre plus d’un mois pour condamner publiquement des propos?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question importante et d’avoir attiré l’attention sur les propos ignobles et inacceptables tenus à l’endroit de la communauté juive du Canada.
Les remarques de cet individu étaient tout à fait épouvantables. Le gouvernement les condamne, et il dénonce le racisme et la haine qui en sont à l’origine, comme il le fait chaque fois que des citoyens canadiens sont victimes de tels comportements. Le gouvernement est reconnaissant que le député Anthony Housefather ait porté cette situation à son attention.
On m’a informé que, lorsque cet enjeu a été soulevé, le gouvernement a immédiatement demandé au ministère du Patrimoine canadien de confirmer les détails du financement accordé et de l’informer des prochaines étapes procédurales à suivre. Après avoir obtenu cette information, le gouvernement a aussi sollicité l’avis des conseillers juridiques pour s’assurer que toutes les mesures qu’il prendrait étaient conformes à la loi. Il a agi de manière légale et responsable pour supprimer rapidement le financement octroyé à l’organisation et suspendre le projet.
Le sénateur Plett : Sénateur Gold, ma question était très simple et ne nécessitait que de répondre par oui ou par non, ce que vous n’avez pas fait. Hier, vous avez dit que le gouvernement reconnaissait qu’il y avait eu un échec dans le processus de vérification. Vous y avez encore fait allusion. Admettrez-vous néanmoins que ce n’était pas le seul échec? De toute évidence, le premier ministre et le ministre n’ont pas condamné publiquement les commentaires.
Le gouvernement est-il disposé à aborder spécifiquement le délai de 30 jours — pas vos notes d’allocution — pour condamner les commentaires? Va-t-il plutôt faire l’autruche, comme toujours, en espérant que la situation disparaîtra d’elle-même?
Le sénateur Gold : Sénateur Plett, je vous remercie de votre question complémentaire, mais je n’ai pas de leçon à recevoir sur les notes d’allocution, même celles qui proviennent d’ailleurs.
Le gouvernement condamne ces déclarations et les sentiments qui les sous-tendent. Elles sont profondément blessantes pour tous les membres de la communauté juive et pour tous les Canadiens qui ont à cœur le traitement approprié, juste et respectueux de tous, peu importe leur religion, leur race, leur culture ou leur origine. Le gouvernement maintient sa condamnation de ces déclarations et reconnaît également, comme je l’ai fait hier et je le fais encore maintenant, que des erreurs ont été commises dans l’examen de ce projet particulier et de son promoteur.
Le Bureau du Conseil privé
Les taux de criminalité et le coût du logement
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ma question s’adresse aussi au leader du gouvernement. La fin de semaine dernière, les électeurs de Vancouver ont envoyé un message clair : ils en ont assez des politiques radicales du premier ministre et du maire néo-démocrate. Ils en ont assez de la violence, des décès par surdose et du marché immobilier surévalué. Les électeurs à Vancouver ont dit : « C’est assez. » Ils ont mis à la porte le maire néo-démocrate et rejeté les politiques radicales. Ils ont indiqué, par leur vote, vouloir se débarrasser des empêcheurs de tourner en rond, construire des maisons plus abordables et adopter des mesures législatives inspirées par le bon sens afin de rétablir la sécurité dans les rues.
Sénateur Gold, le gouvernement comprendra-t-il le message et corrigera-t-il les politiques inefficaces qui alimentent les inquiétudes au sujet de la sécurité dans les rues et les collectivités de Vancouver et du Grand Vancouver?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénatrice Martin. D’abord, je pense que nous voulons tous au Sénat féliciter le nouveau maire de Vancouver. Le moment est historique : il s’agit du premier maire sino-canadien de Vancouver. Nous devrions célébrer notre régime démocratique qui permet aux gens de demander des comptes à leurs gouvernements et d’apporter des changements lorsque cela est approprié. Toutefois, on ne peut tout simplement pas dire que le gouvernement actuel du Canada — ou tout autre gouvernement, bien honnêtement, de tous les partis confondus — est responsable de la crise des opioïdes, de l’inflation mondiale et de la hausse du prix des logements à Vancouver. Ce n’est vraiment pas le cas.
(1450)
Dans les années 1970, je vivais et étudiais à Vancouver, ce qui me rendait fier et heureux. Cependant, le coût de la vie n’était déjà pas modique à l’époque, et il est totalement démesuré maintenant.
En réalité, le gouvernement fédéral travaille avec les gouvernements provinciaux et les administrations municipales au besoin. Il fait son possible pour combattre la crise des opioïdes, ainsi que pour éviter aux gens de passer par le système de justice pénale lorsqu’il s’agit vraiment d’un problème de santé. Au comité, nous étudions actuellement un projet de loi à cet effet. Je ne répéterai pas de nouveau les mesures cruciales que le gouvernement a présentées pour aider les Canadiens à composer avec la hausse du coût de la vie causée par la pandémie mondiale, la guerre en Ukraine et d’autres facteurs mondiaux.
Alors, oui, je félicite les maires et les citoyens qui les ont élus. Toutefois, je crois que le gouvernement se dirige dans la bonne voie pour aider le Canada à sortir de la pandémie, ainsi que pour faire croître notre économie de manière sûre et durable.
La sénatrice Martin : M. Ken Sim, le maire nouvellement élu, a véritablement marqué l’histoire. En effet, il est le premier maire sino-canadien et asiatique de Vancouver. Il ravive l’espoir dans l’avenir de l’une des plus grandes villes du Canada et du monde.
Sénateur Gold, quelles mesures concrètes le gouvernement Trudeau prendra-t-il pour aider le maire Sim à réduire la criminalité et à faire construire plus de logements abordables?
Le sénateur Gold : En premier lieu, je vous remercie de la question. Commençons par la lutte contre la criminalité. Le gouvernement est fier d’adopter une approche judicieuse et progressive pour s’attaquer non seulement à la criminalité, mais aussi aux déterminants sociaux qui sous-tendent ce problème.
Je suis fier de parrainer le projet de loi dont nous sommes saisis. Cette mesure permettra de faire une avancée considérable pour remédier aux politiques mal avisées de gouvernements antérieurs qui estimaient que la meilleure solution pour contrer la criminalité consistait simplement à légiférer davantage et à imposer des peines plus sévères. Or, il faudrait plutôt s’attaquer aux véritables causes du problème, notamment l’incarcération excessive de personnes de diverses communautés, notamment des communautés autochtones et marginalisées. Lors de leur premier séjour derrière les barreaux, les détenus apprennent des leçons — très souvent dans le système provincial — qui ont de bien regrettables répercussions sur leur vie ainsi que sur celle de leur famille et de leur communauté.
Au chapitre du logement, diverses mesures sont prévues pour améliorer l’abordabilité.
Encore une fois, chers collègues, soyons sérieux — car il s’agit d’une Chambre sérieuse — et soyons réalistes. Il faut reconnaître que, bien avant la pandémie, il y avait déjà une forte demande de logements sur certains marchés, notamment à Vancouver, non seulement de la part des Canadiens, mais aussi de la part de ceux qui voulaient venir s’installer au Canada. Cette forte demande existait déjà avant la pandémie, elle a été aggravée par l’offre limitée de logements, et elle a entraîné une flambée des prix des maisons dans de nombreuses agglomérations du pays et, à vrai dire, même dans des régions rurales comme celle où je vis dans les cantons du Québec. Le gouvernement est déterminé à construire davantage de logements et à aider les Canadiens à épargner pour acheter leur première maison.
C’est pourquoi des mesures telles que le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, présenté dans le budget de 2022, seront utiles. Le gouvernement a lancé un fonds de 4 milliards de dollars pour accélérer la construction de logements afin d’inciter les municipalités — et le maire auquel vous avez fait référence — à construire plus de logements, plus rapidement. Le gouvernement prend des mesures pour établir une charte des droits des acheteurs d’une propriété et présenter un plan national visant à mettre fin au système d’offres à l’aveugle et à interdire aux acheteurs étrangers de posséder des propriétés résidentielles non récréatives pendant deux ans.
Grâce à ces mesures et à d’autres, avec la collaboration des provinces, des municipalités et du secteur privé, nous espérons et nous comptons changer la donne pour que les Canadiens puissent avoir le logement de leur choix et acquérir celui qu’ils recherchent.
Transports et communications
Les travaux du comité
L’honorable Paula Simons : Ma question s’adresse au président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Sénateur Housakos, le mercredi 5 octobre, le comité a entendu le témoignage de Blayne Haggart, un professeur de l’Université Brock. Vous l’avez félicité de son témoignage et avez même dit que si vous aviez eu plus de professeurs comme lui, vous seriez peut‑être resté à l’université. Or, samedi dernier, M. Haggart a reçu un courriel surprenant portant votre signature. Ce courriel dit :
Bonjour, Blayne. À l’heure actuelle, les libéraux de Trudeau sont dangereusement près de pouvoir contrôler ce que vous voyez et dites en ligne.
Le courriel continue :
Le projet de loi C-11 vise à censurer Internet, purement et simplement.
Puis, en caractères gras, on peut lire :
Les Canadiens ont le droit à la liberté d’expression en ligne. Ils ne doivent pas être censurés par les empêcheurs de tourner en rond du gouvernement.
Je m’interroge. Vous avez envoyé ceci à un témoin qui venait de nous livrer son témoignage à l’appui du projet de loi. On peut donc présumer que d’autres témoins ont reçu une lettre similaire. Je me demande si les futurs témoins — car on ne parlera même pas des témoins passés — auront le sentiment de pouvoir s’exprimer en toute sécurité devant le comité et d’y être les bienvenus, sachant que vous, le président du comité, vous, qui présidez les audiences, envoyez des lettres qu’on pourrait qualifier d’exagérées dans lesquelles vous attaquez le projet de loi.
L’honorable Leo Housakos : Sénatrice Simons, en premier lieu, je précise que j’ai dit au comité que je trouvais ce témoignage intéressant. Je n’ai pas dit que j’étais d’accord. Deuxièmement, je pense que vous parlez d’un courriel envoyé aux intervenants et aux membres du Parti conservateur du Canada, leur demandant de signer une pétition.
J’ignore comment le nom de ce monsieur s’est retrouvé sur cette liste. Si son nom y a été inscrit, il doit probablement être membre du parti. Bref, lorsqu’une organisation compte 680 000 membres, comme c’est actuellement le cas du Parti conservateur du Canada — un nombre sans précédent dans l’histoire du Canada, tous partis politiques confondus...
Le sénateur Plett : Wow. Combien y a-t-il de membres du Parti libéral?
Le sénateur Housakos : ... vous communiquez évidemment avec beaucoup de gens. Cela s’appelle la démocratie. Bien sûr, lorsqu’ils reçoivent ces courriels, ils ont le droit d’y souscrire s’ils sont d’accord avec le contenu. Ils ont le droit de faire ce qu’ils pensent être approprié. Comme je l’ai dit, cela s’appelle la démocratie. Je ne pense pas avoir à m’excuser à ce sujet. Je pense qu’il s’agit d’une pratique courante dans la sphère publique pour pouvoir communiquer votre position et vos points de vue aux gens.
La sénatrice Simons : Il est curieux que vous fassiez cela, en tant que personne chargée de présider les audiences. Vous avez entendu les mêmes témoins que moi, sénateur Housakos, et, autant que je m’en souvienne, aucun d’entre eux n’a décrit le projet de loi C-11 comme vous l’avez fait dans votre lettre à M. Haggart. Je me demande quelles sont les dispositions du projet de loi qui, selon vous, contrôleraient ce que les Canadiens disent en ligne ou censureraient leur liberté d’expression.
Le sénateur Housakos : Tout d’abord, tout comme vous, l’article 4 du projet de loi me préoccupe beaucoup.
Au bout du compte, lorsque le président du CRTC vient déclarer publiquement devant notre comité que ce projet de loi ne lui enlève pas le droit d’obliger les fournisseurs de plateformes à faire en sorte que les algorithmes favorisent une opinion particulière, en ce qui me concerne, c’est une façon de contrôler ce que les gens peuvent voir ou afficher. Au bout du compte, je crois que de nombreuses personnes venues témoigner devant le comité sont très préoccupées par la façon dont on utilise les algorithmes, que ce soit au sujet des fournisseurs de plateformes ou de l’avenir. Ce projet de loi n’est pas clair à ce sujet.
Si vous me dites que le comité ne s’est pas penché sur ces préoccupations, je ne suis pas de votre avis. J’ai entendu plusieurs parties prenantes et témoins en parler. Je vais continuer de lutter contre ces préoccupations. Qu’on soit membre du comité, président du comité ou sénateur en position de leadership, rien ne nous enlève le droit de nous exprimer au sujet d’un dossier en particulier, et je vais continuer d’agir en conséquence.
[Français]
Les responsabilités du président
L’honorable Renée Dupuis : Ma question s’adresse également au président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Elle est un peu plus générale que la question de la sénatrice Simons, mais elle renvoie au même message signé par l’honorable sénateur Housakos.
Où tracez-vous la ligne entre votre responsabilité de président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui étudie actuellement le projet de loi C-11, d’assurer la sérénité des débats au comité et le genre d’appels que vous signez comme « honorable sénateur Housakos », où vous demandez à des citoyens de vous aider à empêcher l’adoption du projet de loi C-11 au Sénat?
Pouvez-vous nous éclairer sur l’endroit où vous tracez la ligne?
L’honorable Leo Housakos : Oui, c’est très clair. Premièrement, il faut comprendre qu’il y a quelques différences entre la Chambre du Sénat et la Chambre des communes. Un président, tout comme le Président de cette Chambre, n’est pas un arbitre; c’est un membre régulier de cette Chambre. Je ne sais pas si plusieurs personnes dans cette enceinte ne le savent pas, mais le Président a le droit de voter et de s’exprimer sur des enjeux politiques.
Le président d’un comité a les mêmes droits, privilèges et responsabilités. Le président d’un comité sénatorial a le droit de voter, de s’exprimer et de poser des questions. Il a aussi le droit d’être contre un projet de loi. Ce n’est pas nouveau ni anormal; ça fonctionne comme ça depuis des années. Si on veut changer cette règle ou cette procédure, dites-le-moi. Pour l’instant, je respecte cette tradition et les droits qui s’appliquent ici depuis très longtemps.
(1500)
La sénatrice Dupuis : Merci de nous éclairer, mais cette réponse, je l’avais. Je suis tout à fait consciente du fait que les présidents peuvent avoir leur opinion sur un projet de loi. Là n’est pas ma question. À titre de membre du comité, je n’ai pas les mêmes responsabilités que le président ou la présidente du comité.
En tant que responsable du maintien de ce que j’appelle « la sérénité des débats », vous devez faire preuve d’une certaine ouverture et de neutralité. Vous entendez toutes sortes d’opinions, celles qui font votre affaire et les autres. Où tracez-vous la ligne entre ces responsabilités, en tant que président, et le maintien d’une certaine sérénité des débats?
Le sénateur Housakos : Ce n’est pas compliqué. Le travail du président est de nature procédurale et concerne les règles. En tant que président, il m’incombe d’appliquer les règles et de m’assurer que le comité fonctionne de façon équitable et juste. Depuis le début, ce comité a bien fonctionné, de façon indépendante et transparente, et nous allons continuer ainsi.
Cependant, on ne peut pas empêcher un président ou une présidente de prendre position sur un projet de loi. Ça n’a jamais été ainsi. Personnellement, le problème que je vois en ce moment est qu’on s’oppose à mon point de vue sur le projet de loi et non à mon travail à titre de président du comité. D’un côté, le travail est bien fait quand il s’agit de respecter la procédure et les règles. D’un autre côté, j’ai le droit et l’obligation de m’exprimer sur un projet de loi, comme n’importe quel président de comité de cette institution.
[Traduction]
La sécurité publique
L’aide aux victimes de l’ouragan Fiona
L’honorable Brian Francis : Ma question s’adresse au sénateur Gold.
La semaine dernière, la Croix-Rouge canadienne a annoncé que plus de 11 millions de dollars ont été versés aux sinistrés de l’ouragan Fiona. Cependant, la façon dont ces fonds sont distribués soulève de sérieuses questions et préoccupations auprès des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard qui se sont inscrits pour obtenir de l’aide.
À titre d’exemple, des aînés et des personnes vulnérables ont dû faire la file pendant des heures uniquement pour que leur identité soit vérifiée afin d’obtenir un montant de 250 $. Les personnes ayant des problèmes de mobilité n’ont reçu aucune mesure d’accommodement.
Qu’entend faire le gouvernement du Canada pour veiller à ce que la Croix-Rouge canadienne distribue des fonds aux Prince‑Édouardiens de manière inclusive, transparente et responsable le plus rapidement possible?
Qu’entend faire le gouvernement du Canada pour éviter que cette situation dégradante, compliquée et limitative ne se reproduise pas lors des prochaines crises?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de ce rappel que, même si l’ouragan est chose du passé, son impact se fait toujours sentir, surtout chez nos concitoyens qui ont subi les conséquences les plus désastreuses.
Le gouvernement du Canada est heureux non seulement d’avoir collaboré avec la Croix-Rouge canadienne, comme il l’a déjà fait auparavant, mais de constater à quel point les Canadiens ont été généreux. Comme vous la savez, le gouvernement versera une somme équivalente.
Je m’excuse de ne pas avoir été informé en détail de la situation que vous avez décrite. Je vais me renseigner le plus rapidement possible et faire rapport au Sénat.
Le Bureau du Conseil privé
Les nominations au Sénat
L’honorable Scott Tannas : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Aujourd’hui, nous avons accueilli la sénatrice Osler dans cette enceinte. Elle est la 987e personne nommée pour siéger au Sénat du Canada depuis la Confédération.
Je pense que c’est le moment idéal pour rappeler qu’aujourd’hui il y a encore 15 sièges vacants au Sénat; certains depuis longtemps. En fait, un des six sièges de la Colombie-Britannique est vacant depuis plus de 1 000 jours.
Un des six sièges de ma province, l’Alberta, est vacant depuis près de deux ans. Il s’agit d’un problème grave pour une Chambre qui a été créée pour garantir la représentation régionale au Parlement.
Comme vous le savez, monsieur le leader, la situation est différente à l’autre endroit. Là, il faut déclencher une élection partielle pour combler un siège vacant dans un délai de six mois.
Le gouvernement appuierait-il un processus semblable au Sénat, où le premier ministre devrait recommander la nomination d’une personne au Sénat lorsqu’un siège est vacant depuis plus de six mois?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question.
Nous avons tous hâte que d’autres nominations au Sénat soient annoncées afin que nous puissions accueillir de nouveaux collègues ayant les qualités requises pour faire le travail qui est attendu des sénateurs.
Le premier ministre a mis en place un processus différent pour trouver et approuver des candidatures. Ce processus comprend non seulement la soumission de candidatures, mais aussi la constitution, dans chacune des régions et des provinces, d’un comité composé à la fois de deux représentants provinciaux ou territoriaux et de trois membres nommés par le gouvernement.
Dans certains cas, mais pas tous, on tarde à faire des nominations parce qu’une province ou un territoire n’a pas fait les nominations requises au comité. Dans d’autres cas, en toute franchise, je dirais que c’est simplement une question de temps, car le processus prend plus de temps que la plupart d’entre nous le voudraient.
Je ne crois pas que le gouvernement serait favorable à votre proposition, car elle va à l’encontre de l’idée d’un processus fondé sur le mérite et sur la participation non seulement des Canadiens, mais aussi des comités qui approuvent les candidatures.
Cependant, les processus peuvent toujours être améliorés. Je vais soumettre votre suggestion à mes collègues du gouvernement pour qu’ils puissent y réfléchir davantage.
Le sénateur Tannas : Je suis d’accord avec vous, sénateur Gold. Le gouvernement actuel a mis en place un processus sans précédent, qui est porteur de valeur grâce aux candidats proposés.
J’espère que vous ne prétendez pas qu’il est acceptable qu’un siège reste vacant pendant 1 000 jours ou, dans mon cas, deux ans, que c’est correct, que la province est en quelque sorte responsable de cette situation ou que le gouvernement ne peut rien y faire.
Le sénateur Gold : Non, je ne dirais pas que tout est parfait.
Je regrette qu’il reste encore des sièges vacants. J’attends avec impatience les nominations. Il faut toutefois dire que la situation diffère malheureusement d’une province à l’autre et que, dans certains cas, la création des comités a pris du temps, ce qui a rallongé le processus. Je préfère ne pas donner de noms, car ce serait injuste.
Le processus actuel comporte plus de couches et de niveaux que les précédents, et il exige un peu plus de temps. J’espère, comme vous, que les sièges vacants seront pourvus le plus rapidement possible.
Les affaires étrangères
L’Organisation internationale du travail
L’honorable Marilou McPhedran : Quelle agréable surprise. Ma question s’adresse au sénateur Gold.
(1510)
Récemment, j’ai eu l’honneur de coanimer avec la sénatrice Lynn Ruane d’Irlande une table ronde internationale, la première du genre, qui réunissait des législateurs de nombreux pays qui sont à l’avant-garde en matière d’élaboration de nouvelles lois pour lutter contre l’utilisation abusive des accords de non-divulgation qui sont utilisés contre les victimes de harcèlement et d’inconduite sexuelle dans les lieux de travail privés et publics, y compris les universités financées par des fonds publics.
En 2017, un rapport d’Emploi et Développement social Canada a révélé que 60 % des femmes auraient été victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Comme l’a démontré Hockey Canada, les accords de non-divulgation sont souvent utilisés pour bâillonner les victimes d’inconduite sexuelle dans l’intérêt de l’institution qui perpétue un tel comportement.
Ma question d’aujourd’hui porte sur la convention no 190 de l’Organisation internationale du travail, intitulée Éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Adoptée en 2019 par l’Organisation internationale du travail, la convention est le premier traité international à reconnaître le droit de tous à un monde exempt de violence et de harcèlement, y compris la violence et le harcèlement fondés sur le genre. Sénateur Gold, 20 gouvernements ont ratifié la convention, mais pas le Canada. Le gouvernement fédéral du Canada n’a pas de loi claire qui définit et réglemente la question et met un terme à l’utilisation indue des ententes de non-divulgation.
Voici ma question. Quand le Canada va-t-il adopter la convention no 190 de l’Organisation internationale du travail et se joindre aux pays qui l’ont ratifiée, afin de commencer à mettre en place les lois et les politiques nécessaires pour prévenir plus efficacement la violence et le harcèlement dans le monde du travail?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. En quelques mots, je ne sais pas, mais je vais m’informer. Comme le savent l’honorable sénatrice et tous les honorables sénateurs, même si le Canada a le pouvoir, par la prérogative de la Couronne, de conclure des traités, la mise en œuvre de ceux-ci exige des mesures législatives. À cet égard, lorsqu’il est question de la main-d’œuvre, par exemple, cela nécessite des discussions avec les autorités provinciales en matière de travail, alors ce n’est pas inhabituel. Les sénateurs qui ont plus d’expérience dans le domaine des affaires étrangères conviendraient probablement que cela arrive parfois, comme dans ce cas-ci peut-être. Je vais m’informer.
Cependant, avant que le Canada s’engage à l’international, il doit s’assurer d’avoir l’adhésion ou la participation des provinces. Je ne sais pas si c’est le cas, mais je vais certainement m’informer. Merci d’avoir soulevé cette question.
L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté
Le contrat de service à fournisseur unique
L’honorable Leo Housakos : Tandis que certains de mes collègues — les sénateurs indépendants — se préoccupent de savoir pourquoi les détracteurs des projets de loi d’initiative ministérielle critiquent et s’opposent aux projets de loi d’initiative ministérielle, je continuerai à demander des comptes au gouvernement.
[Français]
Ma question s’adresse au leader du gouvernement. Hier, une heure avant une réunion d’un comité de la Chambre des communes, le chat est sorti du sac : depuis 2017, le gouvernement libéral a accordé des contrats pour des installations près du chemin Roxham totalisant 21,8 millions de dollars à Pierre Guay, un bon donateur du Parti libéral du Canada. L’histoire se répète. Les libéraux profitent toujours des largesses du gouvernement libéral.
Malheureusement, sénateur Gold, personne n’est surpris. Ce qui est inusité ici, c’est que, jusqu’à hier, le gouvernement Trudeau avait refusé de dévoiler ce montant en prétendant qu’il s’agit d’information confidentielle. La Presse avait tenté en 2021 d’obtenir ces renseignements en présentant une demande d’accès à l’information à Services publics et Approvisionnement Canada, mais la demande a été refusée.
Sénateur Gold, pourquoi votre gouvernement a-t-il tenté de cacher les sommes versées à M. Guay? Avez-vous honte? Y a-t-il d’autres informations que vous dissimulez? Y a-t-il d’autres bons libéraux qui profitent de cette situation?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, il n’est pas question de cacher des choses comme telles. La divulgation d’informations contractuelles confidentielles constituerait une violation des accords entre le gouvernement et les fournisseurs. Il est bien évident que c’est une pratique normale. Je n’ai pas honte, ni le gouvernement.
[Traduction]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Evgenia Kara-Murza, gestionnaire de projet à la Free Russia Foundation, de l’honorable Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice et procureur général, et de Brandon Silver, directeur de la politique et des projets au Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Dalphond.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
ORDRE DU JOUR
La Loi de l’impôt sur le revenu
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L’honorable Tony Loffreda propose que le projet de loi C-30, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (majoration temporaire du crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-30, un projet de loi d’initiative ministérielle présenté à l’autre endroit par la vice‑première ministre et ministre des Finances, l’honorable Chrystia Freeland, le 20 septembre.
Le fait que ce projet de loi ait été présenté le premier jour des travaux réguliers après l’ajournement d’été nous montre à quel point il est important pour le gouvernement, ainsi que pour les Canadiens qui ont du mal à joindre les deux bouts en cette période exceptionnelle de forte pression inflationniste.
[Français]
J’ai parlé longuement de ce projet de loi hier à l’étape de la deuxième lecture, et soyez assurés que je ne répéterai pas tout ce que j’ai dit.
[Traduction]
Je vois des gens qui sourient, ce qui est agréable.
[Français]
Je vais simplement rappeler à tous mes collègues que l’objectif de ce projet de loi est de donner aux personnes et aux parents à revenu faible ou modique un peu d’argent supplémentaire dans le cadre du programme de crédit pour la TPS/TVH.
L’objectif de cette mesure — un supplément de crédit temporaire de six mois — est d’aider les Canadiens et Canadiennes les plus démunis, alors que nous continuons à lutter contre une inflation supérieure à la moyenne.
J’espère, et c’est l’espoir du gouvernement, que ces fonds supplémentaires aideront à atténuer certaines des difficultés financières de plus de 11 millions de ménages canadiens qui tentent de se nourrir et de se vêtir.
Je veux prendre un moment pour apporter une petite précision sur ce sujet, pour donner suite à la question que la sénatrice Dupuis m’a posée hier. Ce sont bel et bien 11 millions de ménages qui sont admissibles à la prestation supplémentaire. Selon le gouvernement, parmi ces 11 millions de ménages, on compte environ 9 millions de personnes seules et près de 2 millions de couples.
[Traduction]
Onze millions de Canadiens qui bénéficient déjà du crédit d’impôt recevront le montant supplémentaire, ce qui représente approximativement 11 millions de ménages. Permettez-moi d’expliquer ces chiffres plus en détail. La mesure cible 9 millions de personnes seules et 2 millions de couples. Pour les 2 millions de couples, le supplément au titre du crédit pour la TPS est versé à l’époux ou au conjoint de fait dont la déclaration de revenus est évaluée en premier. À l’instar de nombreuses mesures et politiques fiscales, c’est un peu compliqué, mais ce sont là les chiffres approximatifs. Ce qui est important, c’est que la moitié des familles canadiennes et plus de la moitié des aînés canadiens recevront ce montant supplémentaire. Voilà ce qui est important.
Hier, j’ai parlé de l’inflation et de quelques difficultés en ce qui concerne les Canadiens en âge de travailler qui ne présentent pas de déclaration de revenus. Pour cette dernière question, j’espère que le gouvernement la prendra au sérieux et qu’il cherchera une solution. La ministre Freeland a reconnu qu’il s’agit d’un problème et qu’il faut en faire plus pour le régler.
Je n’avais pas prévu de revenir sur la question des Canadiens qui ne présentent pas de déclaration de revenus, mais le Comité permanent des finances nationales s’est réuni ce matin, et j’ai de l’information supplémentaire qui pourrait intéresser certains sénateurs.
L’Agence du revenu du Canada a témoigné devant le comité, et ses représentants ont parlé plus en détail des efforts de sensibilisation pour aider les gens qui autrement pourraient ne pas présenter de déclaration de revenus. L’agence a confirmé qu’elle a des employés partout au pays qui travaillent avec de multiples partenaires et associations communautaires afin d’informer et de sensibiliser la population au sujet de la production de déclarations de revenus.
Par exemple, par l’entremise du Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt — un programme gouvernemental —, l’agence organise des comptoirs de préparation de déclarations dans un grand nombre de villes et de collectivités. On nous a informés que, dans le cadre de ce programme de partenariat, environ 600 000 déclarations de revenus ont été produites, et on me dit que cela a permis de verser plus de 1,4 milliard de dollars en remboursements d’impôt et prestations fiscales.
(1520)
D’ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, la ministre du Revenu national a annoncé qu’un financement accru sera accordé à ces organismes bénévoles pour mieux aider les Canadiens à assumer les coûts de fonctionnement de ces comptoirs. Ce financement profitera également aux comptoirs du Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt qui desservent les populations nordiques et autochtones. De plus, l’Agence du revenu du Canada travaille avec des concepteurs de logiciels afin que les Canadiens à faible revenu puissent utiliser gratuitement le logiciel de déclaration de revenus. Elle envoie aussi des lettres à des Canadiens lorsqu’elle considère que ceux-ci pourraient avoir droit à certains avantages fiscaux, et elle les encourage à produire une déclaration de revenus.
Pour donner suite à la question que le sénateur Patterson a posée hier au sujet du Nord, ce matin, l’Agence du revenu du Canada a également parlé des efforts de sensibilisation qui sont déployés dans les collectivités des territoires. Des témoins nous ont rappelé que trois centres ont été ouverts dans le Nord pour offrir des services en personne. L’Agence du revenu du Canada a également mis en place une ligne téléphonique réservée aux résidants du Nord pour compenser les problèmes de bande passante dans les territoires. Selon les témoins qui ont comparu ce matin, il y a eu 944 visites en personne dans des collectivités autochtones du Nord avant la pandémie.
L’Agence du revenu du Canada a également mentionné qu’elle a du personnel parlant diverses langues autochtones, dont l’inuktitut. De plus, elle a divers produits, dont des fiches de renseignements sur l’importance de présenter sa déclaration de revenus et comment présenter une déclaration de revenus, disponibles en diverses langues autochtones. Les témoins ont confirmé que l’agence travaille actuellement à produire du matériel en 11 langues autochtones et que celui-ci devrait être prêt d’ici la prochaine période de production des déclarations de revenus.
J’espère que ceux qui s’intéressent aux efforts de sensibilisation et d’adaptation déployés par l’Agence du revenu du Canada auprès des collectivités du Nord trouveront ces nouveaux renseignements utiles. Nos comités font de l’excellent travail et il est important de communiquer ce que nous y apprenons, comme ce fut le cas ce matin, par exemple.
Honorables sénateurs, il ressort nettement du débat sur le projet de loi C-30 que nombre de sénateurs sont préoccupés par les enjeux économiques élargis ainsi que par la santé globale et la stabilité de notre économie. Je partage ces préoccupations et j’estime que le gouvernement doit réévaluer certains de ses programmes de dépenses. Je sais également que la ministre prend au sérieux les réductions budgétaires.
J’ai été très heureux de l’entendre dire au comité plénier :
Nous savons que les Canadiens réduisent leurs dépenses et nous reconnaissons que le gouvernement doit aussi le faire.
Comme elle l’a reconnu le 6 octobre :
[...] il a été difficile pour notre gouvernement de trouver un équilibre entre, d’un côté, la compassion et l’appui aux moins nantis et, de l’autre, l’importance de la responsabilité fiscale.
Je suis tout à fait conscient de cette difficulté et je suis convaincu que les sénateurs seront nombreux à surveiller de près les futures dépenses du gouvernement. C’est un travail que je prends au sérieux et qui, puisque je suis membre du Comité des finances nationales, me plaît grandement.
[Français]
Je m’en voudrais de ne pas dire un mot au sujet de la collaboration dont nous avons été témoins dans les deux Chambres du Parlement pour l’examen de cette mesure législative indispensable. Le fait que tous les partis de l’autre endroit appuient ce projet de loi en dit long sur la nécessité de mettre de l’argent dans les poches des Canadiens à faible revenu.
[Traduction]
Certains sénateurs peuvent être déçus que ce projet de loi n’ait pas été renvoyé au comité. La sénatrice Marshall a exprimé sa déception hier, et je peux certainement la comprendre. Cependant, ce projet de loi est simple, et il est urgent qu’il reçoive la sanction royale.
Je suis reconnaissant à la ministre Freeland d’avoir trouvé du temps pour nous dans son horaire chargé afin de témoigner pendant 90 minutes devant le Sénat le 6 octobre. À mon avis, je pense que cela a été suffisant pour que nous tous — et pas seulement les membres du Comité des finances nationales — puissions interpeller le gouvernement et obtenir des réponses à nos questions. D’ailleurs, je dirais que certaines questions qui ont été soulevées en comité plénier n’auraient peut-être pas été abordées au comité.
Nous savons que le gouvernement a exercé des pressions pour que nous adoptions ce projet de loi aujourd’hui, afin que l’Agence du revenu du Canada puisse lancer ce nouveau remboursement, en espérant que le premier versement complémentaire sera reçu avant les Fêtes. Si l’adoption de ce projet de loi aujourd’hui signifie que des familles de partout au pays pourront déguster un meilleur repas à Noël, qu’un enfant pourra recevoir un nouvel habit de neige ou que des parents pourront relever un peu le chauffage pendant nos froids mois d’hiver, je suis alors disposé à voter en faveur de ce projet de loi pour faire en sorte qu’il reçoive la sanction royale aujourd’hui même.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-30 est opportun, temporaire et nécessaire. Si le projet de loi est adopté, l’argent qui sera distribué au titre du crédit pour la TPS sera, comme l’a dit la ministre, « une somme importante ». Comme elle l’a dit en réponse à une question du sénateur Plett, la mesure prévue dans le projet de loi C-30 :
[…] est une mesure soigneusement ciblée qui vise à aider ceux qui en ont le plus besoin. Cela fait définitivement partie d’une approche responsable sur le plan financier […]
Je suis plutôt d’accord avec elle, et c’est pourquoi j’ai l’honneur, en tant que sénateur indépendant du Québec, de parrainer ce projet de loi du gouvernement au Sénat. J’espère que tous les sénateurs se joindront à moi pour voter en faveur du projet de loi C-30, la Loi no 1 sur l’allègement du coût de la vie. Faisons-le maintenant et envoyons un message clair aux Canadiens qui ont du mal à joindre les deux bouts : nous sommes là pour les aider.
[Français]
L’honorable Diane Bellemare : Chers collègues, je vais tenter d’être brève, mais je tiens à m’exprimer dans le cadre de la troisième lecture du projet de loi C-30. Avant de commencer, j’aimerais féliciter tous mes collègues qui ont parlé avant moi de ce projet de loi de nature budgétaire. Les discours ont tous été très intéressants et ont soulevé d’importantes questions. Je partage plusieurs des préoccupations soulevées, en particulier celles qui ont trait à l’absence d’une étude approfondie en comité de ce projet de loi.
Comme je l’ai dit à la ministre Freeland lors du comité plénier, je vais voter pour ce projet de loi. Néanmoins, j’aimerais partager avec vous certaines préoccupations qui pourraient faire l’objet d’études plus approfondies à l’avenir. Mes commentaires visent à poser un regard critique, néanmoins constructif, sur la stratégie du gouvernement pour faire face à cette période d’inflation.
Plusieurs collègues qui ont pris la parole hier lors de la deuxième lecture ont rappelé le diagnostic que posent les experts quant aux causes de l’inflation que nous connaissons depuis maintenant plus d’un an. Toutes les grandes institutions internationales de recherche comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les banques centrales comme la Banque du Canada, ainsi que les experts de la macroéconomie que le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie entend depuis quelques semaines au sujet de l’état de l’économie, s’entendent pour attribuer les causes de l’inflation à des problèmes liés aux chaînes d’approvisionnement.
En d’autres mots, l’inflation actuelle est un problème d’offre plutôt qu’un problème de demande. Ainsi, n’eussent été des perturbations que l’on connaît depuis 2020 dans les chaînes d’approvisionnement, il n’y aurait pas d’inflation au-delà des cibles visées par la banque centrale.
L’offre de biens et services a été perturbée par un ensemble de facteurs, comme l’arrêt temporaire de la production causé par la pandémie, par la guerre en Ukraine ainsi que par des considérations climatiques particulières qui ont contribué à réduire la production de certaines denrées. Nous osons tous espérer que ces facteurs sont de nature temporaire, c’est pourquoi les banques centrales ont affirmé que l’inflation serait temporaire.
L’OCDE, dans son dernier rapport daté de septembre 2022, affirme toujours que les causes de l’inflation sont temporaires. Selon les perspectives économiques de l’OCDE, l’inflation frappe l’économie mondiale et s’est généralisée au-delà des secteurs de l’alimentation et de l’énergie, mais elle va fléchir. Cependant, certains problèmes d’approvisionnement, principalement en gaz, pourraient perdurer en raison du conflit entre la Russie et l’Ukraine.
Pour l’instant, comme le confirment les banques centrales, les anticipations inflationnistes ne se sont pas emballées. Les témoins que nous avons entendus jusqu’à ce jour au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie confirment qu’il n’y a pas d’inflation salariale au Canada.
Toutefois, malgré le fait qu’on puisse penser que l’inflation que l’on connaît est temporaire, les prix qui ont augmenté risquent de demeurer à leur niveau le plus élevé. En d’autres mots, même si la hausse des prix se stabilise, ceux-ci seront plus élevés que par le passé. Il faudra beaucoup de concurrence sur les marchés pour que les prix redescendent. Comme les salaires augmentent dans plusieurs secteurs pour maintenir le pouvoir d’achat, la baisse des prix devient moins probable. Bref, quand l’inflation se stabilisera, ce sera à un niveau de prix plus élevé. J’insiste là-dessus. Vous verrez pourquoi.
L’inflation fait des perdants, notamment parmi les citoyens les plus vulnérables, qui ont généralement des revenus fixes. Le projet de loi C-30 s’adresse aux personnes et familles dont les revenus augmentent peu et qui peinent à joindre les deux bouts. Toutefois, l’inflation fait aussi des gagnants. Parmi ces gagnants, on retrouve les gouvernements, notamment le gouvernement fédéral, dont les revenus augmentent en raison de l’inflation. C’est le cas des revenus issus de la taxe sur les produits et services qui ont augmenté de manière importante et, fort probablement, de manière permanente.
(1530)
J’aimerais maintenant parler des stratégies préconisées par l’OCDE et les experts afin de traverser cette période temporaire d’inflation. La principale mesure suggérée est la réduction de la demande globale dans le but d’atténuer les pressions exercées sur les prix causées par des problèmes d’offre. C’est pourquoi les autorités comme l’OCDE et le Fonds monétaire international préconisent une hausse des taux d’intérêt afin de réduire la demande et ainsi d’alléger la pression exercée sur les prix. C’est justement ce que fait la Banque du Canada et la plupart des banques centrales.
De plus, ces mêmes organismes proposent l’adoption de mesures temporaires de transfert de revenus pour soutenir le pouvoir d’achat des personnes à faible revenu. C’est exactement ce que font le gouvernement fédéral, la banque centrale du Canada et bien des gouvernements. Le projet de loi C-30 s’inscrit donc dans la logique des recommandations de l’OCDE.
Cette stratégie est-elle vraiment efficace? Y a-t-il d’autres solutions?
Plusieurs commencent à douter de l’efficacité de cette stratégie. Différents instruments existent pour réduire temporairement la demande, et la politique monétaire n’est pas le seul instrument. Dans un contexte d’inflation causée par des problèmes de chaînes d’approvisionnement qui perdurent, l’utilisation de la politique monétaire peut être très coûteuse. Cette approche s’apparente au recours à une chimiothérapie agressive pour traiter un cancer localisé à un stade peu avancé, ce qui risque de tuer le patient.
Plusieurs économistes considèrent cette stratégie comme étant dangereuse. Les témoins qui ont témoigné au Comité permanent des banques, du commerce et de l’économie nous ont fait part de leurs doutes. David Dodge, ex-gouverneur de la Banque du Canada, a clairement affirmé qu’à moyen terme, il fallait se concentrer sur l’augmentation de l’offre et a reconnu qu’à court terme, des mesures fiscales pourraient aussi aider à réduire la demande.
Le professeur Trevor Tombe, de l’Université de l’Alberta, que le sénateur Woo a cité, remet également en question les effets pervers des taux d’intérêt pour enrayer une inflation causée par des problèmes d’offre. Selon son étude et d’autres études semblables qu’il a citées, la hausse du taux d’intérêt peut causer des effets boomerang sur le taux d’inflation. L’économiste Jim Stafford a également partagé ses inquiétudes quant à l’utilisation de la politique monétaire pour enrayer l’inflation.
En fait, une hausse rapide et substantielle des taux d’intérêt peut réduire la demande, mais elle peut aussi exacerber la hausse du prix des loyers et d’autres prix et services. Elle pourrait même nuire à la capacité de notre système de production de résoudre les problèmes d’offre et de soutenir les investissements nécessaires liés aux changements climatiques. Selon David Dodge, le seul avantage du recours à la politique monétaire pour réduire la demande, c’est qu’elle est rapide. Elle dégage également les élus de cette responsabilité.
Quant aux mesures provisoires de soutien des revenus des ménages préconisées également par l’OCDE, elles sont par définition temporaires. On peut même s’interroger sur leur effet thérapeutique réel pour les plus vulnérables, lorsqu’on sait que de nombreuses personnes ne font pas de déclaration de revenus et ne peuvent en bénéficier. Ces mesures sont néanmoins bien visibles d’un point de vue politique et leur coût est temporaire.
J’ai consulté les derniers rapports financiers du ministère des Finances, notamment La revue financière de mars 2022. Pour l’année 2021-2022, les revenus de la TPS atteignent 45,5 milliards de dollars, soit une hausse de 48,9 % par rapport à l’année précédente. Évidemment, l’inflation n’est pas la seule cause de cette augmentation de revenus et elle s’explique également par un retour à la normale de la consommation post-COVID.
En revanche, si on compare l’année 2021-2022 aux années précédant la pandémie, on constate néanmoins une hausse importante des revenus issus de la TPS. Les tableaux de référence financiers publiés annuellement indiquent que, pour l’année financière 2019-2020, soit l’année qui précède l’arrivée de la COVID, les revenus de la TPS atteignaient 37,4 milliards de dollars, et, bon an mal an, les revenus étaient semblables au cours des cinq années précédentes.
Lorsqu’on compare les années pré-COVID à l’exercice financier qui s’est terminé en mars 2022, on constate une augmentation de revenus pour le gouvernement fédéral de 8,1 milliards de dollars ou de 21,7 %. Cette augmentation sera permanente. Lorsque l’inflation se stabilisera, les revenus de la TPS augmenteront moins rapidement, mais ils demeureront élevés, car les prix, eux, ne diminueront pas.
Dans une telle perspective, le projet de loi C-30, qui, selon l’étude du Bureau du directeur parlementaire du budget, propose une aide temporaire d’une valeur de 2,6 milliards, constitue une mesure bien sobre par rapport aux revenus qu’a engrangés le gouvernement au chapitre de la TPS. Le gouvernement aurait pu en faire davantage en rendant l’aide permanente, car les revenus des groupes vulnérables n’augmentent pas, et les prix ne diminuent pas. Ainsi, le gouvernement aurait pu réduire temporairement la TPS d’un montant équivalant à l’accroissement des revenus. Une baisse de la TPS aurait eu un effet sur l’inflation, car elle aurait permis une baisse du coût du panier de consommation.
La France, comme d’autres pays européens, a fait le choix de réduire les tarifs et les prix de l’électricité et du gaz. Selon une étude de l’Institut national de la statistique de France, cette mesure a permis de réduire le taux d’inflation de trois points de pourcentage, passant d’un taux d’inflation de 8 % à 5,1 %. Il s’agit d’une mesure importante.
Somme toute, le gouvernement fédéral a suivi les recommandations de l’OCDE, qui suggère l’adoption de mesures temporaires de soutien du revenu plutôt qu’une réduction de taxes. Cependant, est-ce suffisant pour les ménages canadiens moins nantis qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts? Je n’en suis pas certaine.
Par ailleurs, ce sont ces mêmes groupes à faible revenu qui subiront une large part des coûts économiques de la politique monétaire, parce qu’il faut le dire. La politique monétaire baisse les taux d’intérêt, mais elle engendre d’autres coûts.
Comme vous le savez, la politique monétaire du Canada ralentira l’économie alors que le ralentissement est déjà amorcé. C’est déjà le cas aux États-Unis où, techniquement, on connaît déjà deux trimestres consécutifs de contraction de la production. Ce sont généralement les groupes les plus vulnérables qui font les frais d’un ralentissement économique. Vous le savez, un ralentissement économique est accompagné de pertes d’emplois. Les prestations de l’assurance-emploi augmentent et, encore là, ce sont les travailleurs à plus faibles revenus ainsi que les petites entreprises qui, proportionnellement, paient beaucoup plus que les autres groupes les frais de l’assurance-emploi. Est-ce équitable? Poser la question, c’est y répondre.
Enfin, tout comme d’autres sénateurs et à l’instar de la sénatrice Dupuis, j’aurais aimé connaître les études du gouvernement qui ont amené celui-ci à choisir la stratégie actuelle. J’aurais aimé connaître les impacts régionaux et les impacts de l’analyse comparative entre les sexes plus d’une telle stratégie. Somme toute, mes commentaires visent à mettre en doute l’information que l’on reçoit des organismes au sujet de la lutte contre l’inflation et à favoriser plus de créativité à l’avenir.
Bien qu’on ait pu faire mieux, je voterai en faveur du projet de loi C-30, parce que des familles en ont besoin. Toutefois, je crois que les mesures budgétaires comme le projet de loi C-30 ne sont qu’un analgésique de courte durée pour soulager les effets d’un problème qui nécessite l’adoption de mesures stratégiques du côté de l’offre, pour faire face de manière responsable et durable aux problèmes d’approvisionnement. J’exhorte le gouvernement à nous montrer sa stratégie du côté de l’offre.
Je vous remercie de votre écoute. Meegwetch.
(1540)
[Traduction]
L’honorable Yuen Pau Woo : J’ai beaucoup apprécié vos propos sur les modèles économiques de rechange et je voulais vous interroger sur votre recommandation d’une réduction de la TPS par opposition aux mesures prévues dans ce projet de loi. Cet argument est valable — et vous avez souligné que certains pays le font —, mais ne diriez-vous pas que la principale différence entre une réduction générale de la TPS et le doublement du crédit pour la TPS réside, bien sûr, dans leur impact distributif? En effet, la première bénéficierait à tous les consommateurs, tandis que la seconde profiterait à un groupe ciblé de Canadiens à faible revenu. Je vous remercie.
[Français]
Son Honneur la Présidente intérimaire : Je regrette, sénatrice Bellemare, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à la question?
La sénatrice Bellemare : Oui.
[Traduction]
Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il consentement, honorables sénateurs, pour permettre à la sénatrice Bellemare de répondre à la question?
Des voix : Oui.
[Français]
La sénatrice Bellemare : En effet, sénateur Woo, je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que, dans les deux cas, les effets de la répartition ne sont pas les mêmes. Je ne serais pas en mesure de vous dire à l’avance ce qu’ils seront. Ce que l’on sait, c’est que le crédit de la TPS se réalisera par l’intermédiaire de l’impôt. Donc, étant donné qu’une bonne partie des plus vulnérables — on l’a vu hier dans les discours qui ont été prononcés — ne fait pas de déclaration de revenus, ils n’en bénéficieront pas. C’est une mesure temporaire très courte.
Abaisser la TPS aurait coûté plus cher, évidemment, mais cela aurait aussi permis de réduire la pression sur la Banque du Canada pour qu’elle n’augmente pas aussi rapidement ses taux d’intérêt. Donc, les bénéfices réalisés en réduisant la TPS auraient non seulement profité aux consommateurs, qui auraient dû dépenser un peu moins, mais ils auraient aussi permis de baisser les coûts macroéconomiques d’une stratégie de lutte contre l’inflation qui n’est pas du tout conçue pour s’attaquer à des problèmes d’approvisionnement, et qui peut même les exacerber. C’est là où il y a une situation problématique particulière dont il faut s’occuper.
Si à court terme on doit réduire la demande pour ne pas empirer l’inflation, il faut qu’à moyen terme nous ayons un plan pour faire des améliorations aux chaînes d’approvisionnement.
[Traduction]
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je n’utilise pas ce lutrin en raison de la longueur de mon discours, mais plutôt parce que, au fur et à mesure que le temps passe, nous avons tous des problèmes différents, et il se pourrait que j’aie besoin de m’appuyer sur quelque chose.
Chers collègues, je prends également la parole cet après-midi au sujet du projet de loi C-30, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu. Pour être honnête, chers collègues, il est difficile de savoir par où commencer. J’ai vu beaucoup de projets de loi présentés au Sénat depuis que j’ai été nommé sénateur, et je ne crois pas qu’aucun n’ait été aussi trompeur que ce dernier.
Le mot « fourbe » me vient à l’esprit, et si vous cherchez la définition sur Google, vous trouverez que le dictionnaire le définit comme suit : « marqué par la fourberie : trompeur en paroles ou en actes ». Ce sont des mots forts, mais permettez-moi de vous expliquer et vous jugerez ensuite par vous-mêmes si cette description correspond ou non à ce projet de loi.
À première vue, l’objectif de ce projet de loi est logique. Il permettra de remettre de l’argent dans les poches des Canadiens. Il équivaut essentiellement à un remboursement d’impôt et, pour cette raison, notre caucus conservateur l’a appuyé à l’unanimité à la Chambre. Je m’attends à ce qu’il soit adopté avec le même soutien dans cette enceinte, et je l’ai d’ailleurs assuré à la ministre des Finances lors de son passage au Sénat. Toutefois, dès qu’on gratte la surface de ce projet de loi, on s’aperçoit qu’il est loin d’être ce que le gouvernement affirme.
Même si le gouvernement prétend qu’il s’agit d’une loi sur l’allégement du coût de la vie, ce n’est guère plus qu’un pansement sur une plaie béante que le gouvernement s’entête à gratter sans cesse. Ce projet de loi ne fait rien pour s’attaquer à la source du problème. En réalité, il ne fera que l’aggraver.
La COVID-19 a perturbé la chaîne d’approvisionnement, tandis que la guerre illégale de Vladimir Poutine en Ukraine a fait grimper les prix de l’énergie. Ces deux événements ont contribué considérablement à la hausse actuelle du coût de la vie. Cependant, même avant ces événements, chers collègues, le gouvernement était voué à se heurter de plein fouet à la réalité parce qu’il dépensait sans compter et sans se soucier des conséquences à long terme sur notre santé économique. La plupart des dépenses liées à la COVID étaient nécessaires. Elles ont permis de soutenir nos concitoyens et notre économie, alors que nous tentions de traverser les eaux incertaines dans lesquelles nous nous trouvions à cause de ce nouveau coronavirus. Cependant, une grande partie de ces dépenses étaient inutiles.
L’Institut Fraser a publié une étude la semaine dernière, dans laquelle il est parvenu à la même conclusion que d’autres. On peut y lire ce qui suit :
[…] un pourcentage important de l’augmentation énorme des dépenses d’Ottawa pendant la COVID, qui a entraîné de gros déficits et a alourdi considérablement la dette, n’avait rien à voir avec la pandémie […]
On peut aussi y lire ceci :
[…] environ 60 % du déficit budgétaire fédéral pendant la pandémie […] était lié directement à la COVID-19 […] tandis que le 40 % restant n’avait rien à voir avec la pandémie.
Le gouvernement croit qu’il peut s’extirper de tout problème à coups de dollars sans se soucier des conséquences. Même maintenant, en plein milieu d’une période inflationniste, il continue à jeter de l’huile sur le feu. Vous vous souviendrez peut-être que, au début de la pandémie, le gouvernement libéral ne pensait même pas que l’inflation serait un problème, malgré que Pierre Poilievre l’ait averti à plusieurs reprises que ses dépenses effrénées entraîneraient sans aucun doute de l’inflation en augmentant la masse monétaire. Ces mêmes préoccupations ont été soulevées en mai 2020 dans un article du Financial Post, où on pouvait lire ceci :
En théorie, une forte augmentation de la masse monétaire entraînera une flambée des prix, et certains sont persuadés que les centaines de milliards de dollars que la Banque du Canada prévoit créer au cours de la prochaine année ne peuvent que nous faire revivre les années 1970.
La dette publique est depuis longtemps associée à l’inflation, de sorte que les prévisions du 30 avril du directeur parlementaire du budget, selon lesquelles la dette atteindra environ 50 % du produit intérieur brut en 2021 par rapport à environ 30 % en 2020, rendent certaines personnes nerveuses. Il semblerait que le gouvernement fédéral ne fait pas partie de ce groupe. Au lieu de s’inquiéter de l’inflation, il a fait fi de la menace et s’est moqué des gens qui ont osé la mentionner. Il s’est plutôt rangé du côté du gouverneur de la Banque du Canada, qui a très bien résumé l’état d’esprit des libéraux lorsqu’il a déclaré que la plus grande menace pour l’économie canadienne était la déflation, et non l’inflation.
Même lorsqu’on a commencé à lever les restrictions sanitaires, et qu’on pouvait voir que le taux d’inflation augmentait petit à petit, ce n’était toujours pas une priorité pour le gouvernement actuel. Au lieu de cela, sa seule préoccupation était de ne pas interrompre trop rapidement le flux d’argent, même si les entreprises avaient de la difficulté à trouver des travailleurs et avaient supplié le gouvernement d’imposer comme condition que les prestataires soient prêts à retourner au travail. Le gouvernement a refusé. Il nous a rassuré que l’inflation ne serait que transitoire. Cependant, le 19 janvier 2022, Statistique Canada rapportait que le taux d’inflation annuel avait déjà atteint son niveau le plus élevé en 30 ans, et les économistes nous ont prévenus que les taux grimperaient plus haut encore.
Le même jour, le directeur parlementaire du budget publiait sa Mise à jour économique et budgétaire de 2021, qui signalait que les 100 milliards de dollars prévus par le gouvernement pour la relance économique risquaient de stimuler de façon excessive l’économie, contribuant ainsi à l’inflation. Encore une fois, le gouvernement a fait fi de ces avertissements.
(1550)
En mars, la soi-disant inflation transitoire avait atteint 6,7 %, pour éventuellement atteindre 8,1 %. Pourtant, même si le gouvernement voyait les chiffres grimper, il a refusé d’envisager de maintenir ses dépenses aux niveaux d’avant la pandémie. Selon le Budget principal des dépenses de cette année, le gouvernement fédéral a augmenté sa politique budgétaire de plus de 120 milliards de dollars par rapport à l’exercice 2018-2019. Les dépenses liées à la COVID ne sont plus qu’une fraction de ce qu’elles étaient au pic de la pandémie, mais le gouvernement refuse d’agir de façon responsable et de faire preuve d’un peu de retenue.
Cette hypocrisie est incroyable. Ils prétendent se soucier de la hausse vertigineuse des prix, mais ils refusent de prendre la moindre mesure au sujet de choses qu’ils peuvent directement contrôler. Le prix des aliments, par exemple, est en hausse de 10,8 %, la hausse la plus rapide en 40 ans. Je vais donner quelques exemples de hausses : le poisson, 10,4 %; le beurre, 16,9 %; les œufs, 10,9 %; la margarine, 37,5 %; les miches de pain et les petits pains, 17,6 %, les pâtes sèches ou fraîches, plus de 32 %; les fruits frais, 13,2 %; les oranges, 18,5 %; les pommes, près de 12 %; le café, de 14,2 %; la soupe, 19 %; la laitue, 12,4 % et les pommes de terre, près de 11 %.
Une famille moyenne de quatre personnes dépense maintenant 1 200 $ de plus chaque année simplement pour se nourrir, sans parler de la hausse du coût du chauffage, de l’essence et du loyer.
Par ailleurs, alors que le coût des aliments augmente à une vitesse fulgurante et que les Canadiens peinent à nourrir leur famille, le gouvernement libéral décide que le temps est opportun pour cibler une réduction arbitraire de 30 % des émissions causées par les engrais d’ici 2030. Cette décision a été prise en dépit des avertissements du secteur agricole, notamment celui-ci :
[...] une réduction de 30 % n’est pas une cible atteignable de manière réaliste sans occasionner des coûts considérables aux producteurs de cultures canadiens, ce qui risque de détériorer la santé financière de ce secteur au pays.
Qui plus est, alors que le budget des familles canadiennes est grevé par la hausse du prix de l’énergie, la réponse du gouvernement est d’augmenter davantage les prix en haussant les taxes. Le Canada est le seul pays du G7 qui a augmenté les taxes sur le carburant en cette période d’inflation sans précédent. Pourtant, le gouvernement demeure résolu à aller de l’avant avec son plan de tripler la taxe sur le carbone.
Selon un rapport de la Fédération canadienne des contribuables publié la semaine dernière, plus de la moitié des pays du G7 et du G20, et deux tiers des pays membres de l’OCDE réduisent leurs taxes. Le rapport indique que « [...] le gouvernement fédéral a récemment augmenté les taxes sur le carbone, l’alcool et les salaires » au lieu d’offrir un allégement fiscal.
La Fédération canadienne des contribuables a souligné ceci :
L’Australie a coupé de moitié sa taxe sur l’essence. Le Royaume-Uni a annoncé un allégement de plusieurs milliards de la taxe sur le carburant. Les Pays-Bas ont diminué leur taxe sur l’essence de 17 cents le litre. La Corée du Sud a réduit de 30 % ses taxes à la pompe. L’Inde a réduit les taxes sur l’essence pour « maintenir l’inflation à un niveau bas, de manière à aider les gens des classes moyenne et défavorisée ».
Mais qu’a fait notre gouvernement néo-démocrate-libéral? Au lieu d’adopter des politiques qui freineraient l’inflation, il continue d’inventer de nouvelles façons de rendre la vie encore moins abordable pour les Canadiens.
Chers collègues, si le gouvernement voulait vraiment réduire l’inflation, il pourrait le faire simplement et facilement. Il pourrait réduire la TPS. D’ailleurs, 18 pays, dont la Belgique, l’Allemagne et la Norvège, ont réduit les taxes à la consommation pour rendre la vie plus abordable.
Comme l’a souligné la sénatrice Bellemare quand la ministre des Finances était de passage au Sénat, les recettes provenant de la TPS ont augmenté de près de 50 % en un an. Cette hausse est liée en partie à l’inflation, puisque l’inflation a pour effet d’augmenter les recettes du gouvernement. Plus l’inflation est élevée, plus les recettes provenant des taxes sont élevées, et ce, sans qu’il soit nécessaire d’augmenter le taux. C’est un scénario de rêve pour les libéraux.
Dans les Perspectives économiques et financières qu’il a publiées la semaine dernière, le directeur parlementaire du budget estime que l’inflation ajoutera 83 milliards de dollars aux coffres de l’État au cours des cinq prochaines années.
Réduire la TPS aurait automatiquement pour effet de réduire l’inflation. Comme la sénatrice Bellemare l’a souligné quand le Sénat était formé en comité plénier, cette idée n’a rien de neuf. Voici ce qu’elle a dit :
La France a fait l’expérience de ce genre de mesures, et, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’impact est réel et significatif, puisqu’en France le taux d’inflation s’élèverait à 5 % au lieu de 8 %.
Mais plutôt que de prendre de véritables mesures, le gouvernement a décidé de faire la seule chose qu’il sait faire : tenter de s’extirper du problème à coups de dollars.
La réponse du gouvernement à une crise qu’il a contribué à créer en dépensant sans retenue, c’est de dépenser encore plus d’argent. Après avoir provoqué la flambée inflationniste que nous connaissons aujourd’hui, il ne peut pas résister à l’envie de jeter de l’huile sur le feu.
La ministre Freeland a admis que des dépenses gouvernementales accrues pourraient empirer les choses quand elle a dit :
[...] il est impossible de soutenir l’ensemble des Canadiens face à la montée des coûts alimentée par la pandémie et par l’invasion illégale de l’Ukraine par Poutine. Si on le faisait, on ne ferait qu’aggraver l’inflation et compliquer le travail de la Banque du Canada.
C’est peut-être la première et la seule fois où j’ai été d’accord avec la ministre Freeland, car combattre l’inflation en augmentant les dépenses est comme un service d’incendie qui asperge un feu d’essence pour essayer de l’éteindre. Ce que la ministre des Finances a omis de reconnaître, cependant, c’est que, que l’on mette un peu ou beaucoup d’essence sur un feu, le résultat est le même.
Des économistes d’un peu partout dans le monde ont formulé des mises en garde à ce sujet.
Le 12 septembre, le titre d’un article du Financial Post le disait très clairement : « [...] Des économistes nous préviennent que l’aide gouvernementale pour faire face à la hausse des prix risque d’alimenter un “feu inflationniste” ».
La CIBC, la Banque de Montréal et la Banque de Nouvelle‑Écosse ont toutes publié des rapports exprimant des inquiétudes quant à l’utilisation de revenus exceptionnels pour effectuer des dépenses supplémentaires.
Avery Shenfeld, de la CIBC, a déclaré : « Bien qu’il y ait des moments où les largesses fiscales sont exactement ce dont l’économie a besoin, nous n’en sommes pas là. »
Andrey Pavlov, de la Beedie School of Business de l’Université Simon-Fraser, a déclaré :
« [...] alors que la Banque du Canada fait beaucoup pour réduire l’inflation [...] le gouvernement n’a pas fait grand‑chose. »
Derek Holt de la Banque Scotia a déclaré :
« [...] il semble raisonnable de supposer que cela renforcera les pressions exercées sur les paramètres de l’inflation de base. [...] Ceux qui croient que cela atténuera les pressions inflationnistes doivent avoir lu d’autres traités d’économie. »
Je n’ai aucune idée des traités d’économie que la ministre des Finances a lus ni même si elle en a bel et bien lu, mais une chose est certaine : elle induit en erreur les Canadiens en leur faisant croire que ce projet de loi sert à l’allégement du coût de la vie. Au bout du compte, il ne fera rien pour alléger le coût de la vie tout en prétendant le faire.
Lorsque la ministre des Finances était ici pour le comité plénier, vous avez peut-être remarqué que je lui ai posé une question à brûle-pourpoint :
Votre ministère a-t-il effectué une analyse des répercussions que cette dépense aura sur le taux d’inflation au Canada?
Je pense que c’est une question légitime. Si les économistes nous préviennent que de telles mesures pourraient aggraver la situation, les Canadiens ont le droit de savoir si le gouvernement a pris le temps de déterminer si la dépense en question aurait des répercussions mineures ou majeures. Malheureusement, nous ne le saurons jamais parce que la ministre des Finances a refusé de répondre à cette question, la plus élémentaire de toutes. Cela ne devrait pas nous surprendre étant donné les réponses que nous obtenons à nos questions.
(1600)
En fait, la ministre des Finances a refusé de répondre à toutes les questions que je lui ai posées, préférant régurgiter les mêmes paroles vides de sens, comme si elle participait à la période des questions à l’autre endroit.
J’ai demandé si son ministère avait effectué une analyse des répercussions que cette dépense aura sur le taux d’inflation au Canada, et elle n’a fait que me rassurer qu’elle prenait les dépenses très au sérieux.
C’est quelque chose que nous savions déjà, honorables collègues. Les dépenses sont pratiquement la seule chose que le gouvernement néo-démocrate—libéral prend au sérieux. C’est pourquoi il dépense encore 120 milliards de dollars de plus qu’avant la COVID. Il est fermement résolu à dépenser le plus d’argent possible parce qu’il est convaincu que le budget s’équilibrera de lui-même, et parce que le premier ministre ne veut pas se donner la peine de penser à la politique monétaire.
Cependant, chers collègues, nous n’avons pas invité la ministre au Sénat pour qu’elle y fasse l’étalage de ses réponses toutes faites ni pour qu’elle fasse la promotion du programme du gouvernement. Le comité plénier devait servir les mêmes fins qu’une réunion de comité. Aux réunions de comité, nous demandons à des témoins de répondre à nos questions, et non pas de réciter les messages politiques et les beaux discours du gouvernement. Pourtant, nous n’avons reçu absolument aucune réponse ne serait-ce qu’à une seule question sur le projet de loi C-30. Pendant 95 minutes, chers collègues, nous avons écouté la ministre des Finances parler de toutes sortes de choses, dont les subventions aux combustibles fossiles, la divulgation obligatoire des risques financiers liés aux changements climatiques, les soins dentaires et l’aide au logement.
Or, lorsque j’ai demandé comment le projet de loi C-30 allait contribuer à ralentir les dépenses dans l’économie — ce qui est nécessaire selon le gouverneur de la Banque du Canada —, on m’a répondu que le Canada a le budget au déficit le moins élevé des pays du G7. Lorsque j’ai demandé si le premier ministre avait commencé à penser à une politique monétaire, on m’a fait la morale sur l’indépendance de la Banque du Canada.
Lorsque j’ai publié sur les médias sociaux la vidéo de mes questions et des réponses de la ministre qui n’en étaient pas, les gens ont été outrés. Je vais citer quelques réactions.
Brian a dit ce qui suit : « Un élève de 3e année donnerait des réponses plus concises que le gouvernement libéral du Canada. »
Melody a dit ce qui suit :
[...] merci de vos questions [...] et de votre patience exemplaire alors qu’il est évident qu’elle ne fera que tergiverser. Je serais furieuse!
Roger a déclaré :
Elle aime commencer ses phrases en disant « je tiens à être claire », mais ses réponses ne sont que du verbiage. Son arrogance condescendante est écœurante. Elle parle comme si elle lisait une histoire à un enfant de 5 ans.
Bill a écrit : « Lorsqu’on pose une question à un libéral, à n’importe quel libéral, c’est une perte de temps totale. »
Sandy a dit : « Alors, qu’ils triplent la taxe carbone pour nous montrer à quel point ils compatissent. »
Charlie a écrit : « Il est évident qu’elle ne prend pas la situation au sérieux, qu’elle s’en moque et qu’elle n’a aucun respect pour la question posée. »
Chers collègues, je pourrais poursuivre encore longtemps, mais j’ai dit ce que j’avais à dire. La ministre des Finances n’était pas le moins du monde disposée à répondre aux questions, et c’est inacceptable. Si c’est la façon dont les ministres de la Couronne traitent le comité plénier, alors notre caucus va commencer à s’opposer aux comités pléniers.
Si nous avions pu régulièrement tenir des réunions de comité concernant ce projet de loi, nous aurions eu l’occasion de convoquer d’autres témoins afin d’obtenir des réponses. Je suis convaincu que le directeur parlementaire du budget aurait été l’un de ces témoins. La semaine dernière, il a confirmé dans ses Perspectives économiques et financières que les dépenses du gouvernement qui visent à atténuer l’augmentation du coût de la vie auront en réalité pour effet d’augmenter le coût de la vie.
Certains soutiendront que les répercussions seront minimes, mais je soutiens qu’il est inexcusable et irresponsable de la part du gouvernement de travailler dans le sens contraire des efforts que déploie la Banque du Canada pour faire baisser l’inflation. C’est honteux. Pas étonnant que la ministre des Finances ne voulait pas répondre à la question.
Chers collègues, si les comités pléniers ne sont qu’un moyen pour le gouvernement de se soustraire à un examen en bonne et due forme de ses projets de loi, alors nous commencerons à insister pour que tous les projets de loi fassent l’objet d’une étude complète à un comité, quel que soit l’empressement du gouvernement.
Il n’était pas nécessaire d’accélérer l’étude de ce projet de loi. Le gouvernement a eu amplement de temps pour élaborer le projet de loi et le déposer. Ce n’est pas un projet de loi compliqué. Comme l’a mentionné la sénatrice Martin en comité plénier, tout porte à croire que le gouvernement vient tout juste de réaliser que les familles canadiennes croulent sous l’inflation.
C’est ce que nous sommes forcés de déduire, puisque le projet de loi est accompagné d’une recommandation royale, laquelle est nécessaire lorsqu’un projet de loi autorise de nouvelles dépenses qui n’étaient pas prévues dans le budget.
Pourtant, le Budget principal des dépenses a été déposé le 1er mars, alors que l’inflation avait atteint un taux de 6,7 % ce mois‑là, et le Budget supplémentaire des dépenses (A) a été déposé le 7 juin, alors que l’inflation avait atteint un taux de 8,1 %, mais ni l’un ni l’autre ne renferme la moindre mention de ces dépenses.
L’inflation n’est pas arrivée du jour au lendemain, chers collègues. Le gouvernement a eu largement le temps de penser à la nécessité de ce projet de loi et de prévoir les crédits nécessaires dans le budget. Cependant, il semblerait que lorsque l’inflation augmentait, le gouvernement a manqué de vigilance.
Sénateurs, comment se fait-il que le gouvernement ne soit pas en mesure de nous présenter un projet de loi dans un délai convenable, sachant que ce projet de loi bénéficie d’un appui unanime à la Chambre des communes? Le projet de loi a été déposé à l’autre endroit le 20 septembre et il a fallu les trois semaines de séance suivantes pour qu’un projet de loi appuyé unanimement nous parvienne. Permettez-moi de le répéter, chers collègues : il a fallu trois semaines pour nous présenter un projet de loi bénéficiant d’un appui unanime. S’il y a un gouvernement qui est incapable de marcher et de mâcher de la gomme en même temps, c’est bien le gouvernement néo-démocrate—libéral.
Vous n’avez pas à me croire sur parole. Lors du récent Forum sur le commerce mondial, à Banff, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a déclaré que le Canada faisait toujours figure de mauvais élève, une situation causée par de mauvaises décisions politiques et une incapacité à régler les problèmes non résolus.
Les problèmes qu’il a énumérés sont les suivants : « un bourbier politique où il faut une crise pour que des décisions soient prises », des « couches de réglementation », « des permis et des consultations qui n’en finissent pas d’aboutir », et le fait que « le Canada compte parmi les économies les plus taxées sur la planète ».
C’est pourquoi nous sommes ici ce soir et avons été obligés de prendre l’avion plus tôt pour étudier ce projet de loi. C’est encore une fois dû à l’incurie chronique du gouvernement.
Chers collègues, l’autre chose que vous devez comprendre au sujet du projet de loi, c’est qu’il n’aide pas les gens autant que le gouvernement le fait croire. Je ne veux pas dire que les gens ne seront pas reconnaissants de recevoir cette aide — ils le seront. Cependant, il serait trompeur de se fier à la façon dont le gouvernement joue les héros et se fait une gloire d’avoir présenté ce projet de loi.
Premièrement, vous devez comprendre que cet argent ne sera versé qu’aux Canadiens qui ont normalement droit au crédit pour la TPS. De nombreux sénateurs ont fait remarquer en comité plénier que cela exclut les gens qui ne font pas de déclaration de revenus.
Deuxièmement, le gouvernement aime donner l’impression que cet argent va surtout aider les mères seules avec de jeunes enfants. En réalité, seulement 1,3 des 11,6 millions de chèques émis seront envoyés à des ménages avec enfants, dont moins de la moitié sont des foyers monoparentaux. Les 10,3 millions de chèques qui restent seront envoyés à des ménages sans enfant.
Troisièmement, comme l’a souligné Statistique Canada dans le passé :
Puisque le bien-être économique d’une personne dépend aussi du revenu familial plutôt que du revenu personnel uniquement, les personnes admissibles au crédit pour TPS ne sont pas nécessairement désavantagées. Un jeune adulte vivant avec ses parents et travaillant à temps partiel à un emploi peu rémunéré en serait un exemple. […] la majorité des bénéficiaires […] vivent dans des familles où plus d’une personne gagne un revenu ou dans des familles comptant plus d’un bénéficiaire (par exemple, un enfant et une autre personne apparentée au principal soutien économique vivant dans la même famille).
Autrement dit, honorables sénateurs, la distribution de ces 2,5 milliards de dollars ne se fera pas avec une précision chirurgicale.
Le quatrième élément que je soulignerais est que ce programme a été conçu pour être un remboursement de la TPS, et non un outil pour lutter contre l’inflation. Cela signifie que les personnes qui gagnent le moins ne recevront pas nécessairement les montants les plus élevés.
(1610)
Voici comment fonctionne le programme : un adulte admissible recevra un crédit de taxe de 306 $, plus 161 $ pour chaque enfant admissible âgé de moins de 19 ans. Si la personne est mariée, les conjoints recevront chacun 306 $ plus les 161 $ destinés à l’enfant. Cela fait un total de 773 $. Divisé par deux, cela fait 386,50 $, ce qui représente ce à quoi ils auront droit en vertu du projet de loi C-30.
Pour un parent vivant seul, le calcul est le même, car il existe un « équivalent du montant pour conjoint » pour les parents vivant seuls qui leur permet d’obtenir le double du crédit de base. Toutefois, si on fait partie des 9 millions de prestataires célibataires sans enfant, on reçoit le montant de base de 306 $, mais si on gagne plus de 9 900 $ par année, on reçoit 2 % de chaque dollar gagné au‑delà de ce montant jusqu’à concurrence de 161 $ de plus.
Concrètement, cela signifie qu’une personne vivant seule qui gagne un peu moins de 10 000 $ par année recevra 154 $ selon ce projet de loi, tandis qu’une personne vivant seule mais gagnant le double de ce salaire recevra 234 $, soit 52 % de plus.
Chers collègues, à mon avis, ces paiements ne sont pas seulement petits, ils sont aussi inéquitables. Même si ce projet de loi est censé aider les plus démunis, dans bien des cas ceux qui en ont le plus besoin recevront moins que ceux dont le salaire est deux fois supérieur au leur.
Du point de vue du remboursement de la TPS, le programme est logique, car si une personne a plus d’argent dans ses poches, elle dépensera plus d’argent en TPS au cours de l’année. Cependant, du point de vue d’une mesure ayant pour but d’offrir un allégement fiscal ciblé aux personnes les plus vulnérables, c’est une vraie farce.
Voici un exemple pratique pour mieux comprendre : une mère de famille monoparentale qui touche un revenu net de 30 000 $ gagnera 2,10 $ de plus par jour pendant six mois, ce qui totalise 386,50 $. Par contre, durant la même période, son pouvoir d’achat sera réduit de plus de 1 000 $ à cause de la « Justinflation », ce qui représente 5,43 $ par jour. Alors que le gouvernement néo‑démocrate—libéral est le maître d’œuvre de l’inflation la plus élevée des 40 dernières années — une inflation qui enlève plus de 5 $ par jour à une mère de famille monoparentale —, sa solution est d’offrir 2 $ par jour et de prétendre être un héros.
Chers collègues, je tiens à dire clairement que personne ne suggère que le gouvernement devrait « indemniser tous les Canadiens pour la hausse du coût de la vie », comme l’a dit la ministre des Finances. Nous n’arriverons pas à sortir de ce pétrin en dépensant toujours plus, comme les libéraux se plaisent à le faire. Nous demandons au gouvernement de cesser d’augmenter les taxes des familles canadiennes et d’utiliser la manne qu’il tire des taxes en cette période de forte inflation pour réduire les taxes plutôt que de jeter l’argent par la fenêtre avec de nouvelles dépenses. Si nous voulons éviter une véritable récession, le gouvernement doit être prudent sur le plan financier, pas insouciant.
Il n’est pas nécessaire de regarder bien loin pour voir ce qui se produira si le gouvernement Trudeau ne se montre pas prudent. Le Royaume-Uni découvre à ses dépens qu’un gouvernement qui porte peu d’attention à son bilan financier se fait punir par les marchés, ce qui peut avoir des conséquences durables.
Comme l’a dit M. Torsten Bell, de la fondation Resolution du Royaume-Uni, aux journalistes de Politico :
D’une manière générale, dans un monde où les taux d’intérêt continuent de grimper et où l’inflation est élevée, vous ne voulez pas que votre pays soit désigné par tout le monde comme un mauvais pari.
Il est important de montrer que vous êtes sérieux. Si vous affirmez que votre stratégie de croissance consiste à emprunter beaucoup plus et que tout cela se paiera tout seul, [les marchés] ne vous croiront pas.
Quant à Royce Mendes, chef de la stratégie macroéconomique au Mouvement Desjardins, voici ce qu’il a déclaré ceci sur les ondes de Global News en octobre :
Il y a très, très longtemps qu’il n’avait pas été aussi important pour le gouvernement fédéral de rassurer (les investisseurs) et de leur faire savoir qu’il est vraiment loin de suivre les traces du Royaume-Uni.
Espérons que notre gouvernement est à l’écoute, chers collègues, et qu’il ne commettra pas les mêmes bévues que les Britanniques.
Je terminerai sur ces quelques mots : quand la ministre est venue au Sénat fournir des réponses évasives au sujet de ce projet de loi, elle a dit que « les Canadiens sont intelligents ».
Je suis tout à fait d’accord avec la ministre sur ce point. Les Canadiens sont intelligents. Je crois qu’ils ne seront pas dupes de cette tactique absurde qui consiste à faire grimper les coûts que paient les consommateurs puis à débarquer en se donnant des allures de sauveur parce qu’on leur donne quelques grenailles par‑ci, par-là. Les Canadiens sont trop intelligents pour se laisser prendre. Et chers collègues, ils montreront au gouvernement libéral toute leur intelligence à la prochaine élection générale.
Merci.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Plett, quelques sénateurs voudraient poser une question. Accepteriez-vous de répondre à des questions?
Le sénateur Plett : Oui, je vais au moins répondre à quelques questions. Je ne sais pas dans quelle mesure je pourrai y répondre convenablement. Je suis le porte-parole pour ce projet de loi et non un représentant du gouvernement, et ce n’est pas à moi de défendre le projet de loi ou de répondre à des questions, mais je vais quand même essayer.
Le sénateur Woo : Ma question est la même que j’ai posée à la sénatrice Bellemare. Cependant, lorsque je l’ai posée à la sénatrice Bellemare, c’était parce que je m’intéressais vraiment au modèle économique qu’elle avait à proposer, mais dans votre cas, j’ai de la difficulté à comprendre comment votre modèle économique fonctionne. Vous avez commencé par dire que les dépenses du gouvernement sont incontrôlées, qu’elles sont donc intenables, et que ce sont justement ces dépenses, qui, selon les mots que vous avez employés, « ont jeté de l’huile sur le feu » et ont alimenté les pressions inflationnistes causées par ce qu’on appelle des politiques financières expansionnistes. Or, votre solution consiste à réduire la TPS de quelques points de pourcentage, ce qui est justement une politique financière expansionniste.
Je n’ai pas fait le calcul en détail, mais, selon un calcul mental approximatif, je crois qu’accorder à tous une réduction de la TPS de quelques points de pourcentage coûterait beaucoup plus cher que les mesures du projet de loi C-30. Par conséquent, cette mesure financière serait encore plus expansionniste que celles qui est proposée dans ce projet de loi. Soulignons par ailleurs que cela aggraverait le problème que vous percevez en ce qui a trait à la viabilité des politiques financières.
Ensuite, il y a la pensée magique qui veut qu’en réduisant la TPS — tout en augmentant la politique budgétaire expansionniste et en exerçant une plus grande pression inflationniste —, la Banque du Canada puisse être moins stricte et moins sévère dans l’augmentation des taux d’intérêt. C’est ce que l’on appelle la dominance budgétaire. Cette politique budgétaire irresponsable qui consiste à réduire la TPS obligera la Banque du Canada à augmenter encore plus les taux d’intérêt. Vous avez mentionné l’exemple du Royaume-Uni — c’est exactement ce qui se passe là-bas.
Essentiellement, vous proposez une politique de plus en plus expansionniste, qui fera augmenter les taux d’intérêt et l’inflation, plus qu’elle ne le fait actuellement. Vous créez des pressions qui amèneront la Banque du Canada, puisqu’il s’agit d’une politique budgétaire insoutenable, à augmenter davantage les taux d’intérêt. J’ajoute que la réduction de la TPS est une politique très difficile à révoquer. Vous le savez très bien, car c’est sous un gouvernement conservateur antérieur que la TPS a été réduite de 7 % à 6 % puis à 5 %, ce qui est le taux en vigueur de nos jours.
Voici ma question, sénateur Plett : quels manuels d’économie consultez-vous?
Le sénateur Plett : Sénateur Woo, c’était un préambule terriblement long, et je ne consulte pas les économistes à ce sujet. Je prononce un discours qui est en opposition avec ce que fait le gouvernement, et je n’ai pas à défendre cela. Le gouvernement doit défendre son projet de loi, pas moi.
Vous avez dit qu’il est difficile de réduire la TPS. Ensuite, vous avez dit qu’un gouvernement conservateur l’a fait. Ainsi, ce n’est pas impossible. C’est peut-être difficile, mais ce n’est pas impossible.
L’honorable Clément Gignac : Sénateur Plett, je tenais à vous dire que je partage votre frustration concernant l’application de la politique monétaire au Canada. À mon avis, la Banque du Canada dormait aux commandes avant d’aspirer les liquidités offertes, et nous avons un grave problème. Même le gouverneur de la Banque du Canada l’a reconnu.
(1620)
Je partage aussi vos inquiétudes — et j’en ai parlé hier — au sujet du fait qu’un grand nombre de personnes pauvres vivant de l’assistance sociale ne présentent pas de déclaration de revenus. Ce matin, à une réunion du Comité des finances nationales, qui est présidé par notre collègue et ami le sénateur Percy Mockler, nous avons talonné l’Agence du revenu du Canada à ce sujet et nous lui avons donné quelques pistes pour remédier à la situation.
Ma question est la suivante : au sujet de votre proposition de réduire la taxe sur les produits et services, la TPS, le Canada affiche le plus fort taux de croissance parmi les pays du G7 cette année, soit 3,2 %, et, l’an prochain, on s’attend à ce qu’il reste à la tête du G7 avec une croissance de 1,7 %. Pour poursuivre sur ce que disait le sénateur Woo, la réduction de la TPS contribuerait à stimuler l’économie et aiderait les gens qui sont riches plutôt que les personnes pauvres. Personnellement, je pense qu’une telle politique de lutte à l’inflation ne ferait que reporter le problème. Certes, à court terme, elle permet de réduire le taux d’inflation — il n’y a aucun doute à ce sujet —, mais tout le monde sait que le gouvernement rétablira un jour la TPS au niveau précédent. À mon avis, on ne fait que différer le problème.
J’ai écouté la réponse que vous avez donnée au sénateur Woo et je sais que vous n’êtes pas ici pour... Nous avons parlé du projet de loi. Néanmoins, je pense que la réduction de la TPS ne serait pas vraiment la meilleure idée dans le contexte économique actuel. En effet, on risquerait fort d’augmenter la TPS à un moment où l’économie ralentirait de façon marquée lorsque le ralentissement économique mondial se confirmera.
Le sénateur Plett : Merci, sénateur. Vous avez peut-être raison. Les futurs gouvernements pourraient décider d’augmenter de nouveau la TPS, mais le gouvernement actuel est responsable de ses gestes, tout comme le gouvernement Harper l’était. C’est ce dernier qui a réduit la TPS. Elle n’a pas augmenté depuis. Le gouvernement libéral actuel n’a pas tenté de l’augmenter. Il a haussé un tas d’autres taxes, mais pas la TPS.
Par conséquent, votre affirmation selon laquelle une diminution de la TPS signifie uniquement qu’elle sera augmentée à l’avenir est entièrement hypothétique. Ce ne sera pas forcément le cas.
De plus, quand vous affirmez que réduire la TPS aidera les riches plus que les pauvres, c’est peut-être également vrai, mais c’est aussi ce que fait le projet de loi à l’étude. En effet, dans les exemples que j’ai donnés, on peut voir que le projet de loi aide davantage les personnes dans la tranche de revenu supérieure que celles à faible revenu. C’est donc déjà une réalité avec ce projet de loi.
Le sénateur Gignac : À titre d’information, je ne suis pas d’accord avec votre dernière phrase, selon laquelle ce projet de loi aidera davantage les riches que les pauvres. Cette aide est limitée, car ceux qui gagnent plus de 30 000 $ par année n’ont pas accès à cette réduction de la TPS.
Le sénateur Plett : Laissez-moi clarifier ce point. Ce projet de loi aidera les personnes qui ne sont pas les plus pauvres davantage que les personnes les plus pauvres. Vous avez raison : une personne gagnant 30 000 $ par an n’est en aucun cas riche, mais cette mesure aidera davantage une personne gagnant 30 000 $ qu’une personne gagnant 10 000 $.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)
[Français]
Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dawson, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénatrices et sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole dans le cadre du débat sur la Loi sur la diffusion continue en ligne. Il s’agit d’un projet de loi phare du gouvernement qui s’inscrit dans le cadre de son engagement à créer un Internet plus équitable, plus sûr et plus inclusif pour tous les Canadiens et les Canadiennes. Je souhaite plus particulièrement me pencher sur les mesures positives que contient le projet de loi pour promouvoir les langues officielles et favoriser l’épanouissement et le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Toutefois, permettez-moi d’abord de vous rappeler pourquoi il est essentiel d’agir en matière de radiodiffusion. La dernière grande refonte de la Loi sur la radiodiffusion remonte à 1991. La loi n’a donc pas été pensée pour Internet et les technologies numériques. Cela signifie que le CRTC, en tant que régulateur indépendant, ne dispose pas de tous les outils dont il a besoin pour réglementer et surveiller le secteur de la radiodiffusion. Ce secteur, comme nous le savons, se transforme à vive allure — je dirais même à la vitesse d’un clic.
En veillant à ce que le CRTC ait les bons outils pour mettre à contribution tous les joueurs qui profitent du système canadien de radiodiffusion, il faut aussi assurer le soutien et la promotion de la création, de la production et de la diffusion des émissions et de la musique canadiennes pour les générations à venir. Le temps est venu d’agir pour l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens, y compris celles et ceux qui sont issus des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Les langues officielles sont au cœur de notre identité. C’est pourquoi le Canada a adopté, au cours de son histoire, des lois et des politiques visant à promouvoir et à protéger le français et l’anglais. À cet effet, on pense spontanément à la Loi sur les langues officielles. Le gouvernement s’est engagé à la moderniser et à la renforcer afin d’assurer l’égalité réelle du français et de l’anglais au Canada.
Toutefois, la Loi sur les langues officielles n’agit pas seule. Il existe d’autres outils et mécanismes législatifs pour promouvoir la pleine reconnaissance de nos deux langues officielles dans la société canadienne. On peut citer la Loi sur la radiodiffusion, qui joue un rôle essentiel. En effet, comme le soulignait à juste titre l’honorable ministre du Patrimoine canadien dans son discours, la vitalité d’une langue est intimement liée à la culture, c’est-à-dire que la langue exprime une culture et, à l’ère du numérique, les émissions que nous regardons et la musique que nous écoutons passent par des plateformes en ligne. Ces canaux et portails constituent des moyens essentiels pour la transmission de la langue et de la culture aujourd’hui.
C’est pourquoi le projet de loi C-11 renforce les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion dans le but d’appuyer les langues officielles et les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Il est important de rappeler que la dualité linguistique est l’un des principes clés de la politique canadienne de radiodiffusion. De plus, la Loi sur la radiodiffusion reconnaît que la radiodiffusion de langue française et la radiodiffusion de langue anglaise diffèrent beaucoup quant à leurs besoins.
Toutefois, les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont affirmé clairement que cette référence à la dualité linguistique ne suffisait pas à elle seule. Les communautés souhaitaient être identifiées et nommées dans la loi. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont aussi souligné qu’il était important pour leur épanouissement et leur développement que la Loi sur la radiodiffusion tienne compte de leurs besoins et intérêts propres.
Honorables sénateurs, il est aussi important de souligner que, dans le cadre du travail effectué par le Comité sénatorial permanent des langues officielles sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles lors de la première session de la 42e législature, le dixième rapport du comité indiquait que la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications devraient inclure des obligations en matière de respect des langues officielles. Vous pouvez vous référer à ces observations, qui se trouvent à la page 24 du dixième rapport.
À titre de francophone du Manitoba, et parce que j’ai eu le plaisir d’œuvrer auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au pays, j’aimerais souligner le fait que le reflet et l’expression des communautés francophones et acadiennes dans le paysage canadien ont toujours été problématiques. La question qui s’est toujours posée la suivante : par quel moyen est-il possible d’atteindre la souveraineté culturelle canadienne et de préserver la voix canadienne dans ce raz-de-marée de contenus audio et vidéo? Pour les communautés francophones et acadiennes, cette question est capitale et touche à leur vitalité et à leur avenir.
(1630)
Je suis heureuse de constater que la voix des communautés francophones et acadiennes a été entendue.
Ainsi, la Loi sur la diffusion continue en ligne renforce la Loi sur la radiodiffusion en matière de langues officielles. Elle précise des objectifs structurants pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Permettez-moi, à ce point-ci, de m’attarder plus particulièrement à trois dispositions du projet de loi.
Tout d’abord, le projet de loi C-11 précise que la Loi sur la radiodiffusion devrait être interprétée et appliquée d’une manière qui respecte, et je cite :
[…] l’engagement du gouvernement […] à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.
C’est le nouveau paragraphe 3 proposé à l’article 2 de la loi.
Ensuite, le projet de loi C-11 stipule que le système canadien de radiodiffusion devrait favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et appuyer leur développement. Le soutien à la production et à la radiodiffusion d’émissions originales par et pour ces communautés est au cœur de cet engagement. Comme vous le savez, chers collègues, le concept de « par et pour » est essentiel pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, car il incarne et met en œuvre leur autonomie.
Enfin, le projet de loi permet de définir le mandat du CRTC à l’égard des communautés de langue officielle en situation minoritaire. À cet effet, il précise que le CRTC devrait tenir compte des besoins et des intérêts propres de ces communautés et favoriser la présentation d’émissions créées et produites par celles-ci. C’est important. Encore une fois, le « par et pour » est au cœur de l’objectif. Il s’agit de l’article 6 du projet de loi, qui ajoute les articles 5.1 et 5.2 à la loi.
Honorables sénateurs, la Loi sur la radiodiffusion doit soutenir les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Au Canada, environ 2 millions de personnes appartiennent à ces communautés. Elles doivent se voir et s’entendre à la télévision, à la radio et sur les services en ligne.
Les communautés de langue officielle en situation minoritaire n’ont pas attendu pour prendre le virage numérique. Elles sont à l’avant-garde. Pensons notamment à TFO qui, en 2019 déjà, franchissait le cap de plus de 1 milliard de visionnements sur l’ensemble de ses chaînes.
Je note aussi le lancement de WebOuest en février dernier, une plateforme de diffusion numérique de langue française. WebOuest est le reflet des communautés francophones des Prairies aux Rocheuses en passant par le Nord canadien. WebOuest donne une voix aux collectivités qui forment nos communautés.
La Société des Jeux de l’Acadie, dont la mission est de développer le mouvement des Jeux de l’Acadie afin de favoriser l’épanouissement de la jeunesse francophone des provinces atlantiques grâce à des compétitions et à des activités sportives et culturelles, a créé les plateformes numériques d’Acajoux et Les Étoiles d’Acajoux. Elles permettent de soutenir le développement sportif et culturel des jeunes, au chapitre de la langue et de la culture acadienne, car, en Acadie, « Tant que la flamme brûlera, l’étoile de la jeunesse acadienne scintillera ».
C’est maintenant à nous de jouer, de faire en sorte que le cadre législatif soit adapté aux réalités de la radiodiffusion à l’ère numérique et que tous les joueurs qui bénéficient du système canadien de radiodiffusion y contribuent, et de veiller à ce que les histoires et la musique par et pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire soient soutenues financièrement, offertes, diffusées, présentées et mises en valeur, et ce, pour les générations à venir. Pour faire rayonner notre art et notre culture, une présence en ligne est primordiale et sa découvrabilité est cruciale à notre souveraineté culturelle.
[Traduction]
Je fais écho aux sentiments exprimés par le ministre :
[...] nous, les francophones, comptons là-dessus pour notre langue, qui en dépend. Si nous voulons que nos enfants parlent notre langue, nous avons besoin d’une culture forte. Pour cela, il faut un système qui est à la fois juste et équitable.
[Français]
La culture est un élément vital d’une communauté francophone dynamique, car elle s’exprime dans la manière de raconter nos histoires, de fêter, de nous rappeler le passé, de nous divertir et d’imaginer l’avenir.
Si vous me le permettez, j’aimerais terminer mes propos en empruntant la voix poétique de Viola Léger, notre Sagouine au Canada, qui exprime l’importance de la culture pour nous, les francophones :
Il en va de la culture comme de la respiration. La culture respire. On l’a dans la peau. C’est entre les lignes que vit la culture. L’art est l’espoir de l’humanité. Et la culture, c’est le véhicule qui transporte cet art. Qui nous fait croire. Qui nous fait vouloir. Qui nous fait vivre.
C’est pourquoi je vous invite, honorables sénatrices et sénateurs, à appuyer le projet de loi sur la diffusion continue en ligne à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il puisse suivre son cours le plus rapidement possible au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Il en va de la vitalité et de la pérennité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Merci. Meegwetch.
[Traduction]
L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Je remercie tous ceux qui se sont exprimés au sujet des objectifs et des complexités de ce projet de loi, que le Sénat et les centaines — non, les milliers — de courriels que nous avons reçus ont mis en évidence.
Le projet de loi C-10, dont l’étude ne s’est pas terminée avant que nous fassions relâche pour l’été, est devenu le projet de loi C-11, qui reflète, comme l’a mentionné le sénateur Dawson, les préoccupations qui avaient été soulevées, en particulier en ce qui concerne le contenu généré par les utilisateurs. La protection de la liberté d’expression y est renforcée. Le projet de loi C-11 représente la première refonte de la Loi sur la radiodiffusion depuis 1991. Il était temps. Le monde de la diffusion a été complètement bouleversé depuis. Cette modernisation est nécessaire face à la domination maintenant exercée par Internet et par les technologies numériques.
De nos jours, les Canadiens accèdent à des plateformes numériques pour une grande partie de leur divertissement. Par exemple, 62 % des ménages canadiens sont abonnés à Netflix. En 2019, cette plateforme a généré à elle seule environ 1 milliard de dollars. L’entreprise a connu un vif succès bien mérité. Cependant, le passage au numérique a créé un déséquilibre considérable, puisque, contrairement aux diffuseurs traditionnels, les diffuseurs en ligne ne sont pas tenus de soutenir le contenu canadien, ce qui inquiète vivement la communauté canadienne des arts et de la culture. Le projet de loi C-11 vise à corriger la situation.
Les modifications dont il est question aujourd’hui découlent, pour la plupart, des 97 recommandations du rapport de 2020 du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications. Chargé d’examiner la situation actuelle, l’objectif du groupe était de présenter des recommandations au gouvernement, dans le but de moderniser le mieux possible la Loi sur la radiodiffusion à l’ère du numérique, dans le contexte canadien.
L’objectif de ce projet de loi est de stimuler la production créative, d’appuyer les arts et la culture au Canada et d’en faire profiter des millions de personnes. J’espère que nous garderons ces objectifs à l’esprit en étudiant le projet de loi. Trois résultats sont souhaités et nécessaires : la rémunération des artistes, des fonds de production et la découvrabilité.
En bref, le projet de loi C-11 précise que la radiodiffusion en ligne relève de la Loi sur la radiodiffusion. Les modifications prévues font en sorte que la loi tient mieux compte de la diversité de la société canadienne, y compris des peuples autochtones et des personnes handicapées. Elles mettent l’accent sur le traitement juste et équitable des diffuseurs de contenu en ligne et des radiodiffuseurs traditionnels, instaurent un régime de sanctions administratives pécuniaires et ajoutent des dispositions plus explicites en matière d’échange de renseignements et de confidentialité. Nous devons déterminer si ces objectifs sont atteints.
(1640)
L’élément clé pour moi est le fait que les plateformes Internet seront réglementées comme les radiodiffuseurs. Les créateurs canadiens, pour qui le soutien à la création et à la présentation est essentiel, sont très en faveur de cette idée. À ses premiers balbutiements, Internet était décrit comme l’autoroute de l’information, et les autoroutes ont des règles et des réalités. De nos jours, notre culture vivante, Internet, présente les talents particuliers des Canadiens.
[Français]
Permettez-moi de vous rappeler à nouveau ce qu’est la réalité canadienne. L’industrie des arts et de la culture est le troisième employeur en importance au Canada. Elle contribue de manière considérable à notre PIB. Pourtant, il y a une anomalie surprenante : nos artistes représentent le plus grand pourcentage de travailleurs qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Cette situation doit être corrigée. Ces gens devraient, comme tous les autres professionnels, être rémunérés équitablement pour leur travail et jouir d’un soutien dans le développement de nouveaux projets. Ce projet de loi permet de franchir cette étape.
[Traduction]
Pendant la pandémie de COVID, les artistes ont créé et partagé leurs œuvres à l’aide des moyens dont ils disposaient, notamment les téléphones cellulaires et les plateformes Internet. Les musiciens, les écrivains, les conteurs et bien d’autres ont été une source de réconfort, d’inspiration, de contact et d’espoir pour nous au cours de la pandémie et d’autres tragédies récentes. Ils l’ont fait gratuitement, car les plateformes Internet ne paient rien. En effet, selon une étude récente, les musiciens qui ont diffusé leurs œuvres sur des plateformes Internet pendant la pandémie de COVID ont gagné en moyenne 67 $ par an. Y a-t-il une seule personne au Sénat qui pourrait vivre avec 67 $ par an, voire 67 $ par semaine?
Les artistes canadiens ont soutenu et continuent de soutenir le Canada. Le Canada doit maintenant soutenir ses créateurs de manière équitable. Le projet de loi prend des mesures importantes pour indemniser les créateurs, les producteurs et les milieux artistiques.
Chers collègues, les arts ne sont pas un luxe pour la société. Comme je le dis souvent, ils sont au cœur de la société — ils sont un pilier dans une multitude de dimensions. Ils ne sont pas sans importance. Ils sont essentiels.
[Français]
Au printemps dernier, au moment du débat sur le projet de loi C-10, je vous ai ramenés dans l’histoire. J’ai souligné la cohérence des principes directeurs que nous avons maintenus à l’échelle nationale, au fil des décennies, au fur et à mesure que de nouvelles technologies ont été successivement développées. Le chapitre sur la radiodiffusion du rapport Massey de 1951, présidé par le futur gouverneur général Vincent Massey, révèle certaines similarités par rapport à la situation qui prévaut aujourd’hui.
[Traduction]
À l’époque, on avait généralement l’impression que la télévision deviendrait une rivale sérieuse et dangereuse pour les autres médias de masse et le cinéma. Le rapport Massey a déboulonné cette perception :
On donne aujourd’hui des émissions de télévision dans un certain nombre de pays [...] Chacun de ces pays applique à ce moyen de communication la même ligne de conduite qu’il suit à l’égard de la radiodiffusion.
Chers collègues, chaque mise à jour de la réglementation sur la radiodiffusion — dans les années 1950, 1980 et 1990 — a entraîné une augmentation du contenu canadien, et ce sera encore le cas cette fois-ci. L’objectif du projet de loi C-11, qui consiste à protéger, à encourager et à développer le contenu canadien, est un objectif que les artistes de l’ensemble du pays appuient.
Piers Henwood, un musicien réputé et un directeur musical qui travaille autant au Canada qu’à l’étranger, a souligné pour moi cet appui pour le projet de loi C-11 il y a quelques mois. Voici ce qu’il a écrit dans un article intitulé « Le courage créatif » paru dans le numéro estival du Rifflandia Magazine. Selon lui, ce courage, c’est :
[...] le courage de créer de l’art, mais aussi le courage de travailler dans une industrie créative, le courage d’appuyer une économie créative et le courage d’affronter le jugement social pour avoir pris des risques créatifs.
Il a décrit le gagne-pain des professionnels de la musique comme « la capacité de créer de l’art puis de le monnayer. » Il a noté qu’une mélodie, « un fondement mystérieusement unique et magique pour créer une économie créative, » est le début de tout. La mélodie :
[...] jaillit vers l’extérieur pour créer un moteur économique, partant d’un esprit pour aller en rejoindre des millions [...]. Les agents, les gérants, les maisons de disque, les ingénieurs des enregistrements, les éditeurs, les équipes de tournée et les promoteurs de concert et de festival [...]
— et toute l’industrie des médias.
Mon expérience concorde avec la sienne. Ce sont les créateurs qui génèrent le contenu qui, à son tour, ouvre la porte à une vaste gamme de professions. Ensemble, ils forment un moteur économique et social vital par l’entremise des artistes anglophones, francophones, autochtones et de toutes origines. Sans les artistes, les plateformes n’existeraient pas. Ce projet de loi actualise la réglementation pour veiller à ce que, à l’instar des radiodiffuseurs traditionnels, tous les intervenants du secteur soient traités équitablement, et que les artistes soient rémunérés.
Comme me l’a dit M. Henwood, et comme l’a souligné le rapport sénatorial La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, les avantages et l’impact de ce secteur ont une portée mondiale. La production et la présentation numérique sur les ondes et en ligne enrichissent la perception du Canada au pays et dans le monde. Chers collègues, ces activités devraient être rémunérées comme le sont les activités des innovateurs dans toutes les autres industries.
Chers collègues, je crois sincèrement que le projet de loi C-11 doit être adopté aussi rapidement que possible. Il n’est que juste et équitable que les nouvelles plateformes technologiques soient traitées aujourd’hui selon les mêmes principes que les technologies précédentes. Nous avons vu que des milliers de scripts et de partitions musicales ont été commandés par CBC/Radio-Canada et diffusés à ses débuts. Certains se trouvent dans les archives, mais pas tous. Mais même George Woodcock, dans son livre Strange Bedfellows: The State and the Arts in Canada, a souligné ceci :
Dans la plupart des cas, même les emplois que CBC/Radio‑Canada fournissait aux acteurs, musiciens et écrivains ne permettaient pas à ces derniers de survivre.
En juin 2021, le National Post a demandé comment protéger les industries culturelles nationales alors que de plus en plus de Canadiens se tournent vers les sociétés Internet pour obtenir de la musique et des programmes vidéo. Le journal cherchait à lutter contre l’influence de la culture américaine, un principe fondamental de la législation canadienne moderne sur les médias. Il a souligné que depuis des décennies, le gouvernement exige des radiodiffuseurs et des télédiffuseurs qu’ils produisent et distribuent du contenu local.
Des centaines de personnes auxquelles j’ai parlé, dont Robin Sokoloski, directrice du développement organisationnel chez Mass Culture, ont exprimé leur appui indéfectible envers le projet de loi, les sommes qui devraient être versées aux arts et pour les arts et la découvrabilité des arts. Mme Sokoloski m’a dit que le projet de loi comprend les objectifs nécessaires pour que le travail de nos créateurs soit découvrable. Dans un monde en ligne régi par les algorithmes, la reddition de comptes n’est tout simplement pas une considération. Par conséquent, nous devons prévoir des mesures visant à la fois la protection des artistes et l’accès à leur œuvre.
Beaucoup de gens m’ont dit qu’il est urgent que les plateformes en ligne soient assujetties aux règles du CRTC. Si le financement nécessaire n’est pas offert, nos histoires ne pourront pas être et ne seront pas racontées, et je dirais, chers collègues, qu’il est plus important que jamais de les raconter. Nous devons pouvoir voir et entendre les histoires des Autochtones, des Noirs et des immigrants qui n’ont jamais été incluses dans les récits traditionnels du pays. Il est aussi évident que sans créateurs de contenus, nous n’aurons pas de plateformes en ligne, et que si le contenu n’est pas créé par des Canadiens à propos de Canadiens, nous ne connaîtrons pas notre pays, ses récits, ses endroits et ses idées.
Comme le sénateur Dawson l’a dit dans cette enceinte :
Les objectifs des politiques [...] feront en sorte que notre système de radiodiffusion reflète la société canadienne et qu’une programmation diversifiée et inclusive soit accessible pour tous. Cela est essentiel pour que le système canadien de radiodiffusion puisse contribuer à l’élargissement des perspectives, à susciter l’empathie et la compassion parmi les citoyens et à célébrer nos différences tout en renforçant les liens communs de notre société si typiquement canadienne.
Ce n’est pas la première fois que de nouvelles technologies bousculent les radiodiffuseurs, et ce ne sera pas la dernière. Il a été question des lois et des règlements sur la radiodiffusion à la Commission Aird en 1929, à la Commission Massey de 1949 à 1951 et au Comité d’étude de la politique culturelle fédérale Applebaum-Hébert en 1981, sans parler des préoccupations bien gérées du gouvernement Mulroney à propos des périodiques canadiens lors des négociations du premier accord commercial canado-américain. Aujourd’hui, en 2022, la question est tout aussi simple et tout aussi complexe qu’elle l’était auparavant.
[Français]
Cette première modernisation de notre Loi sur la radiodiffusion depuis 1991 impose en fait trois nouvelles exigences aux entreprises de médias numériques. Celles-ci doivent fournir des informations sur leurs sources de revenus. Elles doivent aussi verser une partie de leurs bénéfices à un fonds pour soutenir le contenu canadien et accroître la visibilité ou la découvrabilité de contenu canadien.
(1650)
[Traduction]
Le Canada n’est pas seul. Le gouvernement a évalué des politiques et des mesures adoptées par d’autres pays, notamment la Grande-Bretagne, l’Australie et l’Union européenne, et il s’en est inspiré. Par exemple, les règles de l’Union européenne en matière de contenu local exigent que les plateformes fassent la promotion des productions culturelles européennes et qu’au moins 30 % de leurs catalogues soient produits dans ce bloc de pays. En outre, l’Union européenne exige que les services de vidéo sur demande accordent la priorité au contenu local.
Quant à la liberté d’expression, elle n’est pas restreinte par ce projet de loi. En fait, l’histoire a démontré à maintes reprises qu’aucun membre de la société ne lutte plus pour la liberté d’expression que les artistes. En effet, la clairvoyance et le courage des artistes et des scientifiques, comme je l’ai déjà dit dans cette enceinte, mettent en lumière des questions auxquelles notre société doit faire face, y compris celles qui ne sont pas toujours populaires ou entendues, comme les pensionnats de même que les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, bien avant que les commissions pour l’une ou l’autre de ces questions ne soient créées, et bien avant que ces préoccupations ne soient entendues par la société.
[Français]
Chers collègues, il est important de savoir ce que contient réellement ce projet de loi. Nous devons mettre à jour la loi de 1991 pour reconnaître et exploiter les technologies contemporaines. La nécessité de respecter et de récompenser les artistes canadiens est essentielle, tout comme la production et la présentation de contenu canadien, de nos histoires, de nos problèmes et de nos perspectives.
[Traduction]
Nous devons le faire pour que les histoires canadiennes soient racontées, célébrées et entendues, pour que leurs créateurs et leurs producteurs soient récompensés et pour que d’autres d’histoires soient financées pour l’engagement et le plaisir des Canadiens. Dieu sait que nous avons un grand besoin de vérités, d’observations et d’inspirations canadiennes. Ce n’est qu’à cette condition que nous serons en mesure de comprendre pleinement qui nous sommes et ce que nous devons faire pour honorer notre passé et envisager notre avenir. Ce projet de loi le permet. Sans lui, je crains que nous ne perdions beaucoup de ce que nous sommes. Sans ce contenu, nous n’aurons pas de plateformes. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Le Sénat
Motion tendant à exhorter le gouvernement à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,
Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé, en vue d’interdire toute discrimination basée sur le racisme et d’offrir à chacun le droit égal à la protection et au bienfait de la loi.
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, le débat sur cette question a été ajourné au nom du sénateur Dean. Je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole au sujet de cette question lui soit réservé.
Tansi. En tant que sénatrice du Manitoba, j’ai déjà souligné que je me trouve sur un territoire traditionnel, et j’aimerais donc y aller de mes observations sur la motion no 11.
J’aimerais d’abord souligner que les sénateurs ont comme responsabilité de défendre les intérêts des minorités de ce pays. Le terme « minorité » peut désigner une foule de groupes différents, selon le contexte, mais, dans le cadre de cette motion, je tiens à préciser que le terme « minorité » se rapporte plus particulièrement aux communautés autochtones, noires et de couleur du Canada.
La motion no 11 de la sénatrice McCallum nous demande de recommander au gouvernement fédéral d’adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé, afin de mieux prendre en considération les facteurs intersectionnels en plus de respecter les critères fondamentaux déjà établis dans la loi, soit l’universalité, l’intégralité, la transférabilité, l’accessibilité et la gestion publique.
Il est plutôt regrettable qu’une telle modification soit même nécessaire. J’appuie cette motion parce qu’il s’agit d’une étape cruciale pour mieux prendre en considération l’existence indéniable du racisme systémique dans le système de santé du Canada.
Les personnes vivant au Canada ne devraient pas avoir à craindre la discrimination raciale lorsqu’elles tentent d’accéder à des services de soins de santé, que ce soit au cabinet d’un médecin ou dans un hôpital. Bien que nous comprenions ce droit fondamental et que nous le reconnaissions dans les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés sur l’égalité, ainsi que dans la Loi canadienne sur la santé, nous continuons d’ignorer les aspects du racisme systémique qui s’infiltrent dans le système de soins de santé du Canada au détriment du bien-être et de la dignité des gens, et parfois au prix de leur vie.
En tant que femme blanche élevée avec des privilèges, mes chances de recevoir les soins de santé dont j’ai besoin, sans que l’on m’interroge sur mon honnêteté ou mes besoins, en fonction de la couleur de ma peau ou de mon statut socio-économique, sont meilleures que la moyenne. Je n’ai pas à me demander si je serai stérilisée à mon insu lors d’une intervention chirurgicale. Il est très peu probable que l’on m’ignore ou que les prestataires de soins de santé renoncent à trouver le diagnostic dont j’ai besoin. Il est peu probable qu’on laisse entendre que mon problème de santé est de ma faute. Je n’ai pas à m’interroger sur ces choses ou à les craindre, mais d’autres le doivent. Nous ne pouvons pas le nier. Il nous incombe d’établir une norme de soins plus élevée, cohérente et applicable partout au Canada, afin que chaque personne au Canada puisse avoir accès à des soins de santé sans discrimination.
Les Autochtones sont confrontés à un niveau élevé de racisme partout au Canada. Selon l’endroit, entre 39 % et 78 % des Autochtones ont déclaré avoir subi un traitement injuste à cause du racisme. Une étude en particulier a souligné que les patients autochtones élaborent des stratégies pour gérer le racisme avant de se présenter à l’urgence. Pouvez-vous imaginer être obligé d’évaluer si cela vaut la peine de vous faire soigner, même lorsque vous éprouvez énormément de douleur ou que vous êtes assez malade pour savoir que vous devez aller à l’hôpital?
Un des exemples les plus évidents du racisme au Canada est le traitement déplorable infligé aux femmes autochtones qui ont été stérilisées à leur insu et sans leur consentement.
(1700)
Grâce au leadership de la sénatrice Yvonne Boyer, que je tiens à féliciter, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a présenté un rapport poignant sur la stérilisation forcée qui rend hommage aux témoins ayant courageusement fait part de la violence de leur expérience dans le système des soins de santé.
Ces patientes — ces femmes — étaient vulnérables, exposées après leur accouchement et confiées aux soins de médecins, du personnel infirmier et d’autres fournisseurs de soins de santé qui les ont essentiellement contraintes à subir des procédures permanentes, les privant ainsi de leur autonomie, de leur liberté et de leur fertilité, alors que cela devait être leur choix.
En plus de cette agression sur leur corps, ces femmes ont signalé qu’elles avaient été humiliées parce que le personnel médical avait fait des remarques inappropriées et non pertinentes sur leur vie et leur culture.
Partout au pays, et pas uniquement au Manitoba, les gens ont été horrifiés quand Brian Sinclair, un patient d’origine autochtone, est mort après avoir attendu 34 heures dans la salle d’urgence d’un hôpital de Winnipeg en 2008, alors que le personnel médical s’occupait de patients qui étaient arrivés bien après lui.
Nous sommes bien conscients dans cette enceinte du cas récent de Joyce Echaquan, une Inuite qui, en 2020, est parvenue à réaliser un enregistrement montrant la façon odieuse dont elle avait été traitée avant sa mort dans un hôpital québécois, où elle agonisait, attachée à un lit. Elle a enregistré le personnel en train de l’insulter et d’ignorer ses appels à l’aide.
Une fois de plus, nous avons été choqués. Mais l’avons-nous été suffisamment pour agir? Combien de ces cas bien documentés de situations d’urgence sanitaire imputables au racisme devons-nous connaître avant de commencer à les considérer comme systémiques, avant de commencer à traiter ces cas individuels comme étant inextricablement liés les uns aux autres et provoqués par les défaillances de notre système de soins de santé en raison du racisme?
Il ne s’agit pas de cas isolés, mais plutôt du fait que le racisme est ancré dans bien des aspects de notre système de soins de santé. Et le racisme peut tuer. Comment les Autochtones et les autres personnes appartenant à une minorité visible peuvent-ils faire confiance au système de santé si celui-ci continue à les décevoir de cette manière?
Les Autochtones ne sont pas les seuls à subir les conséquences du racisme systémique. Selon une étude publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne, les Noirs présentent des facteurs de risque que les disparités purement biologiques ne peuvent expliquer. Dans une large mesure, ces facteurs de risque peuvent être attribués au racisme systémique.
Plus précisément, les expériences de racisme envers les Noirs dans le système de soins de santé du Canada se manifestent par des stéréotypes et des préjugés de la part du personnel soignant. On parle de préjugés de la part d’un soignant lorsque celui-ci adopte une attitude particulière et restreint l’accès aux soins et le choix du patient. Ainsi, les soignants peuvent s’appuyer sur des hypothèses et des stéréotypes lorsqu’ils prennent des décisions concernant la santé d’un patient.
Le temps imparti ne me permet pas de donner beaucoup d’autres exemples.
Cependant, je tiens à vous parler personnellement de l’une de mes amies les plus chères, une femme noire — je ne la nommerai pas — qui a fait des études supérieures dans le domaine médical, qui n’est presque jamais malade, qui est en bonne santé et qui vit dans un ménage à revenu élevé.
L’été dernier, elle a trop forcé pendant qu’elle transportait des briques dans son jardin, ce qui a causé une douleur paralysante et invalidante qui l’a obligée à se rendre aux urgences. Nous avons failli la perdre. Bien qu’elle fasse partie des personnes les plus qualifiées que je connaisse, c’est une femme noire. C’est le fait qu’elle est une femme noire qui est à l’origine des décisions du médecin, qui l’a d’abord ignorée et a même omis à plusieurs reprises de demander que l’on s’occupe de certains aspects de son état.
Ce médecin a prescrit des médicaments totalement inappropriés qui ont failli la tuer — je n’exagère pas — au point que les médecins qui l’ont traitée par la suite et lui ont sauvé la vie ont porté plainte auprès de l’association médicale. C’était tellement évident que la situation était due à la couleur de sa peau. Il n’y avait aucune autre explication rationnelle à ce qui lui était arrivé.
En 2021, le Fonds du Commonwealth a classé les systèmes de santé de 11 pays selon différents facteurs, y compris l’équité. Le Canada s’est retrouvé avant-dernier à ce chapitre. Bien que le Canada ait été classé à un rang beaucoup plus élevé que les États-Unis, il était bien inférieur à la moyenne. L’Australie, l’Allemagne et la Suisse occupaient les trois premières places. Par ailleurs, le Canada avait aussi été classé dans les trois derniers rangs en 2017. Il est important de souligner que, dans son rapport de 2017, le Fonds du Commonwealth a inclus seulement les inégalités liées au revenu.
Toutefois, par rapport à l’intersectionnalité, les membres des communautés autochtones, noires et de couleur sont plus susceptibles de gagner un faible revenu. Parce que le cadre culturel et politique de notre société facilite l’accumulation des avantages pour les Blancs, cela crée et perpétue le racisme structurel.
Des problèmes découlant du racisme structurel ont été associés à des effets néfastes sur la santé des membres des communautés autochtones, noires et de couleur. Il y a, entre autres, le taux de mortalité infantile plus élevé et les infarctus du myocarde plus fréquents, causés par une obstruction de la circulation sanguine au cœur.
Même si le Canada a réalisé des progrès, il reste clairement beaucoup de travail à faire.
Ajouter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé aurait une incidence sur divers aspects. Premièrement, cela mettrait en évidence le racisme systémique dans les soins de santé en montrant explicitement qu’ils sont inextricablement liés. Reconnaître l’existence d’un problème est le premier pas pour trouver des solutions.
Cela me rappelle le refus consternant, aveugle et obstiné de reconnaître ce qui est arrivé à Joyce Echaquan, comme en témoigne la réaction du premier ministre du Québec, qui a condamné la mort de Mme Echaquan tout en niant le fait que le racisme systémique y a contribué. Pourtant, une étude exhaustive et accablante de 488 pages sur ce problème au Québec, publiée seulement un an auparavant, avait mis au jour des pratiques relevant du racisme systémique dans l’ensemble des services publics de la province.
Nous savons que le racisme systémique se présente sous de nombreuses formes. Une proportion plus faible de professionnels de la santé noirs, autochtones et de couleur occupent des postes de gestion. Les problèmes de santé et les maladies qui sont plus fréquents chez certains groupes ethniques sont moins bien connus.
Les patients noirs, autochtones ou de couleur reçoivent des soins de santé de moindre qualité en raison des stéréotypes, comme je l’ai expliqué en racontant ce qui est arrivé à mon amie l’année dernière.
Les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur savent que les soins de santé, dans leur forme actuelle, sont empreints de racisme. Il est temps que le Canada reconnaisse cette réalité et modifie la Loi canadienne sur la santé. Adopter le principe de l’antiracisme comme pilier permettra non seulement de faire la lumière sur cet état de fait, mais aussi d’obliger les fournisseurs et les établissements de soins de santé à réfléchir à la façon dont ils prennent des décisions concernant la santé des patients.
À l’heure actuelle, les provinces canadiennes adoptent généralement un point de vue eurocentrique pour déterminer les priorités en matière de recrutement dans le domaine de la santé. Adopter une approche unique ne fait qu’aggraver la discrimination dont sont victimes les groupes marginalisés. Depuis toujours, cette approche a donné lieu à de meilleurs résultats en matière de santé chez les Blancs que chez les Noirs ou les Autochtones.
Faire de l’antiracisme un pilier peut ouvrir la porte à de nouvelles perspectives et engendrer de meilleurs résultats pour tous. Cela permettrait de clarifier et de mieux cibler les mesures de reddition de comptes. Nous savons pertinemment que ce qui est mesuré mène à des résultats.
J’appuie également cette motion parce qu’elle donnerait une voix aux patients et travailleurs de la santé membres des communautés noires, autochtones et de couleur. Les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur sont ceux qui seront le plus avantagés par cette motion, et ils devraient avoir l’occasion de faire part de leurs expériences et de leurs recommandations. Il est évident que les solutions temporaires comme la formation sur l’antiracisme ou sur la diversité ne vont pas suffisamment loin pour faciliter un véritable changement structurel; les Noirs, les Autochtones et les gens de couleur doivent participer à ce processus.
(1710)
Quatrièmement, adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé appliquerait le droit à l’égalité que promet la Charte. Si chacun a le droit à une protection équitable, pourquoi considérons-nous encore les décès comme celui de Brian et celui de Joyce comme des incidents isolés? Pourquoi les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur ont-ils le sentiment de devoir user de stratégies pour obtenir les soins de santé qu’ils méritent? Pourquoi les femmes autochtones sont-elles la cible de stérilisation forcée? Si nous ne prenons pas des mesures adéquates pour réduire et éliminer le racisme systémique dans le système de santé, nous ne respectons pas la Constitution. Je vais conclure en précisant que j’appuie la motion. Merci.
Des voix : Bravo!
(Le débat est ajourné, au nom du sénateur Dean.)
Le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Dasko, attirant l’attention du Sénat sur le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs.
L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation dont j’ai donné préavis en novembre dernier afin d’attirer l’attention du Sénat sur le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs.
En tant que citoyens et parlementaires, nous devons toujours faire preuve de vigilance à l’égard de nos institutions démocratiques, en particulier en ce moment, alors que la démocratie est menacée dans tant de pays. Mais pourquoi parler des débats des chefs? Mon interpellation a été motivée par la profonde insatisfaction que j’ai ressentie en regardant les débats des chefs des dernières élections fédérales, en 2021, et par la pluie de critiques qui s’est abattue sur à peu près tous les aspects de ces débats, en particulier dans le cas du débat en anglais.
Personnellement, j’ai toujours aimé regarder les débats des chefs, et je me souviens toujours de certains grands débats de notre histoire. « Vous aviez le choix, monsieur », a déclaré Brian Mulroney à son adversaire désemparé, John Turner, lors d’un échange mémorable en 1984. Mais les débats ne sont pas qu’une simple forme de divertissement. Ils jouent un rôle essentiel dans notre démocratie. Les débats des chefs sont peut-être la meilleure occasion pour les électeurs de prendre connaissance des choix qui se présentent à eux, du caractère et du tempérament des chefs, des politiques des partis et de leurs approches à l’égard de sujets de portée nationale.
De nos jours, au Canada, les débats des chefs sont une question de politique publique. En 2018, la Commission des débats des chefs a été créée par décret afin de garantir la tenue d’au moins un débat des chefs dans chacune des langues officielles pendant chaque campagne électorale fédérale. Avant de prendre ce décret, le gouvernement a mené des consultations; un comité de la Chambre des communes a aussi fait des recherches et délibéré. Le Sénat n’a toutefois participé à aucune des étapes qui ont précédé la prise du décret. Tout ce travail s’est fait sans nous. Il n’est toutefois pas trop tard, chers collègues. Comme les débats organisés par la commission lors des campagnes fédérales de 2019 et de 2021 ont donné des résultats très mitigés, il serait temps, selon moi, de procéder à un second examen objectif.
Certains de mes distingués collègues croient peut-être que le Sénat n’a aucun rôle à jouer dans les délibérations concernant les élections. Je ne suis absolument pas de cet avis. Les élections libres et justes font partie intégrante de toutes les démocraties et, en tant que sénateurs, non seulement avons-nous le droit de participer à ce processus et de délibérer à ce sujet en raison de notre rôle constitutionnel, mais nous avons aussi la responsabilité de participer. J’espère donc que nous pourrons contribuer à cette interpellation.
Des chercheurs américains étudient les débats des dirigeants politiques depuis de nombreuses décennies, et il est largement admis que ces débats informent l’électorat. Les chercheurs canadiens sont arrivés à des conclusions similaires sur l’importance des débats dans notre pays. En 2017, dans un témoignage devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, le professeur Vincent Raynauld de l’Université du Québec à Trois-Rivières a conclu que les débats des chefs au Canada ont eu un impact important sur les attitudes du public, les niveaux de mobilisation, les intentions de vote et l’information, les décrivant comme un guichet unique. En 2018, dans une série de tables rondes organisées avec des experts dans cinq villes, l’Institut de recherches en politiques publiques a rapporté ce qui suit :
[Les participants] ont unanimement affirmé que les débats sont un élément essentiel de toute élection et que leurs mérites particuliers les distinguent de toute autre activité de campagne.
Fait particulièrement important, « avec le temps, [les débats des chefs de parti] sont devenus l’événement de campagne le plus largement suivi par les électeurs [...] »
Le premier débat télévisé des chefs au Canada a eu lieu à l’occasion des élections fédérales de 1968. Ce débat historique a été diffusé conjointement par la CBC/Radio-Canada et d’autres médias. Bien que le nombre réel de téléspectateurs soit incertain, les rapports antérieurs au débat estimaient que l’audience aurait compté de 14 à 15 millions de personnes.
Après ce premier débat télévisé des chefs, aucun autre débat semblable n’a été tenu durant les élections de 1972, de 1974 ou de 1980. De 1984 à 2011, les principaux débats étaient organisés par un consortium de radiodiffuseurs composé des grands réseaux de télévision de langues française et anglaise, y compris CBC, CTV, Global, Radio-Canada, Télé-Québec et TVA, qui travaillaient ensemble pour négocier avec les partis et diffuser les débats.
Jusqu’en 2011, dans la vaste majorité des cas, deux débats avaient lieu lors de toutes les élections, un en anglais et l’autre en français. La situation a changé considérablement lors des élections de 2015, ouvrant la voie à des nouveautés. En 2015, un seul débat, en français, a été organisé par le consortium de radiodiffuseurs. En effet, le chef conservateur et premier ministre Harper avait refusé de participer à un débat en anglais organisé par ce consortium. À la place, de plus petits débats ont été organisés par d’autres organisations médiatiques.
Cette situation sans précédent a suscité un débat vigoureux, et la baisse du nombre de téléspectateurs des débats en anglais de 2011 à 2015 était tout particulièrement inquiétante. Il y a eu plus de débats en 2015, mais ils ont été regardés par moins de citoyens. Par conséquent, après les élections de décembre 2015, le premier ministre Trudeau a ordonné à l’ancienne ministre des Institutions démocratiques Karina Gould de « [p]résenter des options pour créer un poste de commissaire indépendant chargé d’organiser les débats des chefs des partis politiques lors des futures campagnes électorales fédérales […] »
Des consultations ont eu lieu. Un comité de la Chambre des communes a étudié la question et il a recommandé la création d’une commission des débats, qui a été créée par décret en octobre 2018. Pour le meilleur et pour le pire, les débats des chefs organisés lors des élections fédérales relèvent depuis du gouvernement. L’ancien gouverneur général David Johnston a été sollicité pour devenir le nouveau commissaire de la Commission des débats des chefs, et la commission s’est efforcée de remplir son mandat. Aux élections fédérales de 2019 et de 2021, la commission a décidé de lancer un appel d’offres pour confier en sous-traitance les activités de promotion, de production et de distribution entourant les débats. Le groupe choisi a donc mené ces activités sans que la commission participe au choix des thèmes ou des questions ni au processus décisionnel. Il ne fait aucun doute que la commission ne voulait pas participer à un processus politique au nom du gouvernement ou qu’elle désirait éviter de donner cette impression. Cependant, selon de nombreux experts, le processus mené par la Commission des débats a donné des résultats extrêmement problématiques.
Au risque de trop simplifier les choses, disons que les débats de 2019 ont mis en lumière d’importantes lacunes qui n’ont pas été réglées et qui se sont même aggravées en 2021. Ces problèmes ont été observés davantage dans les débats en anglais que dans les débats en français, même si ces derniers ont quand même soulevé des critiques dignes de mention.
J’aimerais me concentrer sur les débats de 2021. Voici un échantillon des réactions observées dans les médias sociaux ou consignées dans le rapport de 2021 de la Commission des débats des chefs au sujet du débat en anglais qui a eu lieu le 9 septembre : « épouvantable », « une insulte à l’intelligence », « le pire débat que j’ai jamais vu », « une catastrophe », « chaotique », « tout à fait honteux », « un échec total », « le pire dans l’histoire des débats ».
Voici quelques grands titres : « La farce qu’était le débat télévisé des chefs des partis fédéraux est une insulte aux téléspectateurs et aux électeurs ».
[Français]
« Débat des chefs fédéraux en anglais : la nation québécoise “attaquée” ».
[Traduction]
« Les Canadiens méritaient mieux qu’un seul débat minable ».
Le débat en langue française du 8 septembre a également été critiqué :
[Français]
« Des débats qui sont une triste farce ».
(1720)
[Traduction]
Ce n’est qu’un aperçu.
Chers collègues, de telles réactions soulèvent de sérieuses questions quant à savoir si ce pays a pris un mauvais virage et si nous pouvons changer de cap.
Examinons les éléments du débat qui renforcent notre démocratie, comme c’est le cas dans cette enquête. Nous pouvons étudier le but ou l’objectif des débats des chefs et la manière dont le format et d’autres aspects peuvent contribuer à les atteindre.
En ce qui concerne les objectifs des débats des chefs, il existe des conflits d’intérêts inévitables entre les trois acteurs que sont les partis politiques, les médias et les citoyens. Les partis considèrent naturellement les débats comme une chance ou une menace, en fonction de leur situation électorale, et ils tenteront de structurer le calendrier, les sujets et le format de façon à maximiser leur intérêt partisan.
Les médias ont d’autres objectifs. En tant que journalistes, ils s’efforcent de demander des comptes aux politiciens et de présenter l’information avec une perspective critique. Mais selon les anciens journalistes Elly Alboim et Paul Adams, les médias appliquent leurs propres valeurs, notamment la nouveauté et le conflit, qu’ils apprennent dans les écoles de journalisme. Les débats sont produits comme des émissions de télévision, où l’on impose des valeurs liées à l’actualité et à la production pour générer des étincelles.
Ensuite, il y a les électeurs et les citoyens. Presque tous les experts dans ce domaine affirment que les besoins des électeurs devraient se trouver au centre des débats, étant donné leur importance pour fournir des renseignements essentiels aux électeurs. Cependant, si les débats appartiennent aux citoyens, qui les représente dans ce processus? C’est difficile à dire. Selon l’ancien journaliste Elly Alboim, les débats sont allés de mal en pis à mesure que les intérêts des journalistes ont pris le dessus sur le processus. Selon lui, l’erreur fondamentale en 2019 et en 2021 a été de considérer les débats comme un exercice journalistique en permettant le recours à un format destructeur et en abandonnant la responsabilité envers les électeurs.
Essentiellement, le meilleur format de débat pour atteindre des objectifs démocratiques consiste en un milieu aussi peu médiatisé que possible, où les électeurs et les téléspectateurs peuvent avoir un accès direct aux chefs et aux partis. Selon le professeur de journalisme Chris Waddell, ancien directeur de l’école de journalisme et de communication de l’Université Carleton, les modérateurs doivent stimuler la discussion en posant des questions ouvertes et en s’efforçant d’être invisibles, sans jouer le rôle de contestataire ou de vérificateur des faits. Aussi, il faut éviter d’imposer des limites de temps strictes.
Le professeur Waddell estime que les débats en anglais et en français de 2021 n’ont absolument pas atteint leurs objectifs. Le format ne laissait presque pas de temps aux chefs pour débattre : on posait des questions compliquées à un seul chef à la fois tout en lui imposant une limite de temps stricte pour y répondre. Selon le professeur Waddell, les nombreux questionneurs étaient antagonistes et irrespectueux, et ils se comportaient comme s’ils étaient partie prenante au débat.
Au sujet de l’approche antagoniste, je m’en voudrais de ne pas mentionner la question la plus hostile de toutes, que la modératrice a posée au chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet lors du débat en anglais. La question inclut le mot « racisme », et la modératrice demande à M. Blanchet pourquoi il défend les projets de loi 96 et 21 et pourquoi il soutient de telles lois discriminatoires. La question a suscité de vives réactions pendant le débat et une vague d’indignation partout au Québec dans les jours suivants. Elle a même entraîné un changement dans la répartition au Québec des appuis accordés aux partis lors des élections. Il est vraiment paradoxal que le débat en anglais ait eu de telles répercussions au Québec.
Les débats ne sont pas sans problème. Toutefois, la Commission des débats des chefs, dans son rapport sur les débats de 2021, relève quelques bons résultats. Tant en 2019 qu’en 2021, plus de gens ont écouté les débats que lors des débats problématiques de 2015. De plus, ces débats ont généré beaucoup d’échanges et d’activités sur les médias sociaux. Ces débats peuvent être considérés comme l’événement le plus important pour le public pendant les campagnes, à l’exception de la journée des élections.
La recherche effectuée après les débats de 2021 met effectivement en évidence quelques retombées favorables, mais elle indique également que les débats n’ont pas informé les téléspectateurs des plateformes et des promesses des partis. Or, c’est exactement ce que les Canadiens attendaient des débats. Ils n’ont pas pu s’informer sur ce qui les intéressait.
À la lumière de cela, la commission elle-même a conclu que l’intérêt du public n’a pas nécessairement été bien servi, et admet qu’elle n’a pas pleinement atteint l’objectif de ce qu’elle appelle l’intégrité globale des débats. Ainsi, les nombreuses personnes qui ont décrié ces débats n’avaient pas tort.
Chers collègues, bien d’autres sujets abordés dans l’analyse des débats des chefs valent la peine d’être examinés, mais je vais terminer mon propos d’aujourd’hui par les questions suivantes : le gouvernement devrait-il continuer de jouer un rôle dans les débats électoraux?
La participation du gouvernement est-elle nécessaire pour que les débats des chefs demeurent un élément majeur de nos campagnes électorales? La commission peut-elle apporter les changements manifestement nécessaires pour mieux servir l’intérêt des citoyens, ou devrait-on organiser les débats dans le cadre d’un autre arrangement? Devrait-on de nouveau les confier entièrement au secteur privé, comme c’est le cas dans la plupart des autres pays du monde et comme c’était le cas au Canada avant la création de la Commission des débats des chefs?
Chers collègues, j’aimerais remercier les experts qui m’ont rencontrée et qui m’ont fait parvenir des rapports d’étude pour étayer cette interpellation, notamment le commissaire des débats des chefs, David Johnston, et son équipe. Voilà, chers collègues. J’espère que vous participerez à cette interpellation. Je suis impatiente d’entendre vos observations.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Petitclerc, au nom de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)
[Français]
La sanction royale
Son Honneur le Président informe le Sénat qu’il a reçu la communication suivante :
RIDEAU HALL
Le 18 octobre 2022
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous aviser que la très honorable Mary May Simon, gouverneure générale du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite aux projets de loi mentionnés à l’annexe de la présente lettre le 18 octobre 2022 à 16 h 56.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.
Le secrétaire du gouverneur général et chancelier d’armes,
Ian McCowan
L’honorable
Le Président du Sénat
Ottawa
Projets de loi ayant reçu la sanction royale le mardi 18 octobre 2022 :
Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés) (projet de loi S-206, chapitre 12, 2022)
Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (majoration temporaire du crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée) (projet de loi C-30, chapitre 13, 2022)
(1730)
[Traduction]
L’autogouvernance du Sénat
Interpellation—Débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice McPhedran, attirant l’attention du Sénat sur le privilège parlementaire, le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et les options pour accroître la responsabilité, la transparence et l’équité dans le contexte de l’autogouvernance unique du Sénat, y compris des directives par rapport à la divulgation publique.
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, cet article a été ajourné au nom de la sénatrice Pate, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole sur cet article lui soit réservé.
Son Honneur le Président : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président : Il en est ainsi ordonné.
La sénatrice McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 6, de la sénatrice McPhedran, qui attire l’attention du Sénat sur divers mécanismes et concepts à étudier comme options pour accroître la responsabilité, la transparence et l’équité dans le contexte de l’autogouvernance unique du Sénat. Il s’agit d’une discussion importante et opportune, et je tiens à remercier la sénatrice McPhedran de l’avoir entamée.
L’aspect sur lequel je me concentrerai dans mes observations est celui du privilège parlementaire. Je vais en traiter, chers collègues, en tant que sénatrice véritablement non affiliée. En prenant la décision de siéger sans être affiliée à un groupe, je savais que ce ne serait pas une transition aisée, et je ne suis pas surprise de constater que les sénateurs non affiliés sont relégués à un statut de second ordre. Ce petit collectif de sénateurs ne relevant pas de l’un des principaux groupes du Sénat, nous ne bénéficions pas de la même considération que la majorité de nos collègues. Or, pourquoi devrais-je appartenir à un autre groupe pour être traitée de façon équitable?
Ce constat est d’autant plus regrettable que nous, sénateurs, sommes les maîtres de notre propre destinée. Ironiquement, le droit des sénateurs d’être autonomes et de s’auto-administrer est l’un des droits associés au privilège parlementaire. Cela a été clairement établi par le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, qui a présenté, en 2015, un important document de travail sur le privilège parlementaire au Canada au XXIe siècle.
Dans ce document, le Comité du Règlement affirme que l’un des privilèges dont jouissent les sénateurs est le droit collectif du Sénat de régir ses affaires internes liées aux débats et aux délibérations, aussi connu sous le nom de connaissance exclusive.
Honorables sénateurs, le Parlement du Canada a adopté le concept de privilège parlementaire du Royaume-Uni. On le trouve à l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont le libellé est le suivant :
Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu’aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et par les membres de cette Chambre.
Il est donc clairement établi que les sénateurs et les députés sont censés jouir de privilèges similaires à ceux des députés de la Chambre des communes du Royaume-Uni.
Chers collègues, lorsqu’on examine le vaste cadre du privilège parlementaire, on constate qu’il englobe un certain nombre de droits et d’immunités. Ces privilèges sont divisés en deux catégories : les privilèges collectifs et les privilèges individuels. Les privilèges collectifs incluent le droit de réglementer nos propres affaires et le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires. Les privilèges individuels incluent la liberté de parole, l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles et l’exemption du devoir de juré. Dans le cadre de mes observations, j’aimerais que vous vous demandiez si nos gestes collectifs à l’égard des sénateurs non affiliés et la façon dont nous les traitons constituent une atteinte à leurs privilèges.
Honorables sénateurs, lors de la 30e législature, le Comité spécial sur les droits et immunités des députés a été formé pour examiner des questions de privilège. Ce comité est arrivé à la conclusion que le privilège avait pour but de permettre à tous les députés de la Chambre des communes de s’acquitter de leurs tâches en tant que représentants des électeurs sans ingérence injustifiée. Même s’il s’agissait d’un comité des Communes, cette affirmation est valable pour les sénateurs, car nous jouissons des mêmes privilèges.
Ce sentiment se reflète dans la toute première ligne du rapport de 2015 du Comité du Règlement sur le privilège parlementaire :
Le privilège parlementaire, élément essentiel de la démocratie parlementaire, permet au Parlement de fonctionner avec efficacité et efficience, sans entraves indues.
C’est dans ce contexte que nous devons considérer le privilège comme les droits et les immunités individuels et collectifs qui nous permettent de fonctionner en tant que parlementaires.
En 1999, le Comité spécial mixte du privilège parlementaire, au Royaume-Uni, s’est penché sur le critère de la nécessité — un concept selon lequel l’exercice du privilège doit être nécessaire à l’exercice contemporain des fonctions parlementaires. Ce comité avait expliqué la notion de « nécessité » sous l’angle des besoins du Parlement dans l’exercice de son rôle constitutionnel. Le Parlement et ses membres ont besoin de jouir de certains droits et de certaines immunités pour pouvoir exercer leurs fonctions publiques essentielles qui sont d’étudier les projets de loi, d’adopter des lois, d’obliger le pouvoir exécutif à rendre des comptes.
En 2005, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid, s’est penchée sur l’application du privilège dans le contexte canadien. Dans sa décision, le juge Ian Binnie a défini le critère de nécessité à respecter pour soutenir la revendication d’un privilège, en insistant sur la nature téléologique nécessaire du lien entre le privilège revendiqué et l’exercice, par le membre ou l’assemblée, de leurs fonctions d’assemblée législative et délibérante.
Or, comme le Comité du Règlement l’a si judicieusement fait remarquer dans son document de travail de 2015, « l’utilité du critère de la nécessité est limitée de manière intentionnelle », et je cite :
[...] ce critère offre un moyen dynamique de déterminer les paramètres ou la portée du privilège. Il n’en demeure pas moins qu’il revient toutefois au Parlement, et aux parlementaires, d’exercer le privilège et d’en déterminer le contenu.
Honorables sénateurs, comme l’ont fait valoir les membres de notre Comité du Règlement en 2015, il revient aux parlementaires d’exercer le privilège et d’en déterminer le contenu, et déterminer cet exercice doit « tradui[re] le mieux la responsabilité ultime d’une législature démocratique ». Autrement dit, étant nos propres arbitres, nous définissons les atteintes au privilège.
Comme l’indique le document publié par le comité en 2015 :
[...][L]e comité estime que l’exercice du privilège parlementaire doit non seulement être éclairé par le passé, mais aussi s’appuyer sur une image de la relation entre l’organe législatif et ses éléments constitutifs qui est conforme aux valeurs démocratiques modernes et qui répond aux attentes du public en matière de responsabilisation, de transparence, de justice naturelle et de respect des droits de la personne.
Chers collègues, pour renforcer ce point crucial de la manière dont nous percevons et dont nous abordons le privilège, j’aimerais me reporter à une lettre rédigée conjointement par cinq sénateurs canadiens en 2012 et adressée au Comité des privilèges de la Chambre de la Nouvelle-Zélande. Dans cette lettre, les sénateurs canadiens ont parlé de la doctrine de « l’arbre vivant », utilisée dans l’interprétation de la Constitution, fidèle à l’idée que le privilège parlementaire n’est ni statique ni immuable, mais un élément adaptable du Parlement visant à préserver sa capacité de fonctionner correctement et efficacement, avec un minimum d’ingérence dans les droits légitimes des autres.
(1740)
Honorables sénateurs, il faut considérer le privilège d’une façon dynamique, comme un arbre, pour que les atteintes soient abordées comme il se doit quand des forces indépendantes de notre volonté nous empêchent de nous acquitter de nos responsabilités de parlementaires et de sénateurs. En effet, ce sont des forces et des décisions indépendantes de la volonté des sénateurs non affiliés, à l’égard desquelles ils n’ont pas leur mot à dire, qui placent ces sénateurs dans une situation très désavantageuse. J’expliquerai ici quelques-uns de ces obstacles pour que tous en soient conscients.
Les sénateurs non affiliés ne participent pas aux réunions préparatoires et ne peuvent donc pas y faire valoir vigoureusement leurs priorités. Nous avons beaucoup de reconnaissance envers les employés du Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre qui parlent, pendant les réunions préparatoires, des interventions que nous souhaitons faire, mais nous ne participons pas à ce processus de manière équitable, puisque les éléments souhaités par les sénateurs non affiliés ne sont pas défendus avec toute la vigueur que mettent les représentants de chaque groupe ou de chaque caucus à défendre les intérêts de ceux-ci lors des réunions préparatoires. Par ailleurs, pour les déclarations de sénateurs, on n’attribue pas de place aux sénateurs non affiliés. Il faut donc que les membres de groupes établis nous cèdent leur temps de parole pour que nous puissions intervenir. Le même phénomène se produit dans le cas des périodes de questions avec les ministres : les sénateurs non affiliés ont moins de chances que les autres de poser des questions au gouvernement et de lui demander des comptes. Il est arrivé à de nombreuses reprises que des sénateurs non affiliés demandent d’intervenir, mais ne soient pas invités à poser une question avant que le temps soit écoulé.
Les sénateurs non affiliés ne sont pas non plus consultés ni informés des décisions prises lors des réunions des leaders. Bien que ces réunions soient informelles et ad hoc, elles donnent lieu à des décisions importantes pour le Sénat, qu’il s’agisse des motions de programmation ou de décisions relatives aux séances hybrides. Si la plupart des autres sénateurs ont indirectement voix au chapitre dans ces questions par l’intermédiaire de leur leader respectif, ce n’est pas le cas des sénateurs non affiliés. Alors que la plupart des autres sénateurs sont informés des décisions prises sur ces questions, les sénateurs non affiliés sont tenus dans l’ignorance.
Tous ces éléments concourent très profondément à faire en sorte qu’un tout petit groupe de sénateurs est condamné à être constamment mal préparés et mal conseillés lors des séances du Sénat. Ils se sont également révélées être un obstacle dangereux pour représenter ceux que nous sommes censés servir.
Les sénateurs non affiliés ne pouvant pas participer équitablement aux délibérations et aux processus décisionnels du Sénat ni à l’obligation de demander des comptes au gouvernement au cours de la période de questions avec les ministres, ils se trouvent dans une situation intenable qui constitue une sérieuse atteinte à leur privilège collectif et a eu, à de nombreuses reprises, un impact négatif sur leur capacité à assumer leurs fonctions de sénateur.
Honorables sénateurs, comme notre Comité du Règlement l’a indiqué dans un document produit en 2015 sur le privilège parlementaire :
[...] afin de pouvoir assumer correctement et efficacement leurs fonctions de parlementaires et de représentants élus, les députés ne doivent pas craindre d’ingérence indue ou [...] d’obstruction.
Le comité a ajouté que, bien qu’il soit impossible de codifier tous ces cas, toute tentative d’obstruction, de nuisance, d’ingérence, d’intimidation ou de brutalité à l’endroit des parlementaires est souvent considérée comme une atteinte au privilège. Dans le document de travail de 2015 du Comité du Règlement, on peut lire :
Il va sans dire que les parlementaires doivent être en mesure de travailler dans un climat libre de toute obstruction, ingérence et intimidation afin de servir la population efficacement.
Le Comité du Règlement poursuit en disant :
En ce qui concerne les actes non physiques qui sont considérés comme de l’obstruction [...] le sous-comité est d’avis qu’il faudrait établir une procédure et l’appliquer pour s’assurer qu’on ne porte pas atteinte à la dignité du Parlement.
Honorables sénateurs, je vous demande à nouveau de réfléchir à la voix minoritaire des sénateurs non affiliés et de vous demander si le statu quo est acceptable, car s’il ne l’est pas, il incombe aux sénateurs, en tant que maîtres de leurs propres travaux, de contester cette injustice.
Je terminerai par d’autres sages paroles du Comité du Règlement du Sénat, toujours tirées de son document de 2015 :
On attend de lui qu’il soit transparent et accessible, qu’il rende des comptes au public et qu’il reflète les normes contemporaines de justice naturelle et d’équité procédurale.
Les Canadiens s’attendent à ce que le Parlement ait une conduite digne de son rôle. Une interprétation canadienne et contemporaine du privilège peut aider à faciliter et à protéger le travail des parlementaires tout en aidant à faire naître une fierté à l’égard de l’institution dans tout le Canada et le Commonwealth.
[Note de la rédaction : La sénatrice McCallum s’exprime en cri.]
Je vous remercie.
Son Honneur le Président : Sénatrice McCallum, le sénateur Plett souhaite poser une question, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à une question?
La sénatrice McCallum : Oui.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : Oui.
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Merci, sénatrice McCallum, de votre discours. Je vais m’efforcer de formuler cette question comme il le faut. Je ne sais pas si je devrais m’exprimer ainsi, mais, avant qu’on sème la pagaille au Sénat en créant tous ces différents groupes au lieu de faire comme dans le bon vieux temps où il n’y avait que deux partis politiques dans cette enceinte, même à cette époque, sénatrice McCallum, il y avait des sénateurs indépendants ou non affiliés, et ces sénateurs non affiliés pouvaient généralement travailler avec le leader du gouvernement même s’ils ne faisaient pas partie du gouvernement. Je pense que la sénatrice Martin serait d’accord avec moi. Lorsqu’elle était leader adjointe, alors que Claude Carignan était le leader de l’opposition, elle s’entretenait tous les jours avec certains de ces sénateurs non affiliés et veillait à ce qu’ils puissent prendre la parole, poser des questions et faire des discours.
Sénatrice McCallum, ce que je trouve curieux est, premièrement, que vous portez le même titre que notre leader du gouvernement et notre leader adjoint. Ils sont aussi non affiliés, alors je pense que vous devriez au moins avoir les mêmes droits qu’eux, puisque vous portez le même titre. Cependant, dites-moi, sénatrice McCallum, quelle est la réponse. Si vous obtenez ce que vous demandez, il me semble que vous auriez un caucus de sénateurs non affiliés. Nous avons déjà trois ou peut-être quatre caucus de sénateurs non affiliés ou indépendants. Proposez-vous qu’on en ait un autre et que vous formiez un groupe de sénateurs non affiliés? Est-ce ce que vous proposez comme solution?
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre question. Nous avons déjà discuté de cet aspect. En ce qui concerne la modernisation du Sénat — ce dont tout le monde parle et dont il était déjà question avant mon arrivée ici —, j’avais cru comprendre que tous les sénateurs seraient un jour non affiliés, qu’il n’y aurait plus de caucus et que c’était l’avenir de cette institution. Le Sénat deviendrait une assemblée d’aînés et il serait géré différemment. C’est une question que j’ai soulevée. Compte tenu de l’autogouvernance du Sénat, quelle est la meilleure façon de procéder?
Étant donné le processus qui est en place pour apporter des changements, je ne crois pas que nous progressons. Je ne vois que des groupes qui se cantonnent encore plus dans des comportements semblables à ceux qu’on retrouve dans un caucus. Si nous étions plus nombreux, je pense que plus de sénateurs deviendraient non affiliés. Nous ne le savons pas. La situation évolue constamment, et il est difficile de dire ce que nous pourrions faire. Chose certaine, je trouve inacceptable d’être ainsi marginalisée.
J’ai pris la parole parce que j’ai besoin d’avoir une plus grande place qu’en ce moment. J’ai été en mesure d’attirer l’attention des sénateurs sur de nombreux dossiers pour les peuples autochtones et pour les Premières Nations parce que c’est pour eux que je travaille. Je remarque que je le fais de moins en moins. Je consulte plus souvent les membres de la communauté et j’essaie de trouver des moyens pour soulever leurs problèmes dans cette enceinte. Je ne sais pas quoi faire. Je tenais absolument à aborder la question. J’espère que certaines personnes dans notre institution pourront fournir une réponse pour la suite des choses.
(1750)
Je réalise que je n’ai pas répondu à votre question. C’est un sujet délicat, mais il faut qu’on en discute. Il faut trouver une solution parce que je n’ai pas l’intention de rester assise ni de me joindre à un autre parti uniquement pour avoir la possibilité de remplir mon rôle. Merci.
Son Honneur le Président : Sénateur Plett, le temps est écoulé.
Le sénateur Plett : Votre Honneur, si je puis me permettre, j’aimerais participer au débat pendant cinq minutes pour dire officiellement certaines choses. Bien entendu, le débat pourra ensuite être de nouveau ajourné au nom de la sénatrice Pate, si je ne m’abuse.
Sénatrice McCallum, j’aimerais d’abord vous remercier encore une fois de votre discours. Je suis d’accord avec vous. Je n’approuve pas nécessairement la façon dont le Sénat est organisé. En fait, je ne l’approuve pas du tout. Je crois à l’ancienne façon dont le Sénat était organisé. Ce Sénat comptait des sénateurs non affiliés, comme vous, et cela fonctionnait très bien. Nous n’avions pas quatre ou cinq caucus prétendant tous être égaux et indépendants. Un seul caucus a suffisamment d’orgueil pour déclarer qu’il est conservateur. Même les libéraux ont décidé qu’ils avaient besoin d’un autre titre que celui qu’ils avaient l’habitude de porter. Ils forment pourtant toujours un caucus libéral. Mon bon ami et cousin le sénateur Harder se dit progressiste. Il a même laissé entendre qu’il serait peut-être progressiste-conservateur. Je ne suis pas certain si cela a été dit confidentiellement; si c’est le cas, sénateur Harder, je vous demande pardon.
Toutefois, sénatrice McCallum, vous avez tout à fait raison de dire que vous devez être traitée avec le même respect que tous les autres sénateurs. Il en va de même pour la sénatrice McPhedran, pour le sénateur Shugart et pour notre nouvelle collègue qui a été nommée aujourd’hui, la sénatrice Osler. À l’heure actuelle, vous formez un caucus de sept membres.
Bien que notre leader me regarde en se demandant où se trouvent ces sept sénateurs, il se considère lui-même comme non affilié, et il fait donc partie de votre caucus. Il devrait vous prendre sous son aile et vous traiter comme un membre de son caucus parce qu’il n’est pas libéral. Il représente le gouvernement sans être libéral. Je trouve cela étrange. C’est pourquoi nous l’appelons « leader », parce que nous pensons qu’il a été désigné comme tel. Pourtant, vous ne l’avez pas été, et vous vous retrouvez à vouloir faire des choses.
Certains caucus — peut-être tous — ont pris un ou plusieurs d’entre vous au moins partiellement sous leur aile pour vous permettre de siéger à des comités. Au sein de notre caucus, c’est le cas de la sénatrice McPhedran et du sénateur Brazeau. Nous avons donc en partie fait notre part, mais ce n’est pas suffisant.
Combien de créneaux devriez-vous obtenir? Je n’en suis pas certain. Combien de fois devriez-vous avoir la possibilité de poser des questions? Je n’en suis pas certain. Cependant, sans vouloir être désobligeant envers notre leader et notre leader adjointe, je crois fermement que vous devriez relever de ces derniers. C’est ainsi que les choses se passaient dans le bon vieux temps. Il y avait du bon dans le bon vieux temps.
Cette expérience que le premier ministre a entreprise il y a quelques années a créé un certain nombre de difficultés. Elles se multiplient en ce moment même, et on ne vous donne pas l’occasion de remplir votre rôle. Vous, en particulier, sénatrice McCallum, vous avez clairement indiqué quelles sont vos motivations dans cette assemblée. Vous avez une circonscription que vous représentez, mais vous n’êtes pas en mesure de remplir vos fonctions correctement à moins de rejoindre un caucus. C’est ce que vous avez fait, mais cela n’a pas fonctionné.
Vous êtes à nouveau non affiliée — si je ne me trompe pas — et, de fait, vous devriez avoir ce droit. Vous devriez être en mesure de faire des déclarations au Sénat — pas tous les jours, peut-être même pas toutes les semaines, mais vous devriez certainement être en mesure de le faire. En outre, vous ne devriez pas avoir à vous présenter devant un conservateur, ou devant l’un des autres caucus, pour demander une place. On devrait vous donner une place. Je suis d’accord avec cela. Je ne suis simplement pas sûr qu’il y ait une réponse claire à votre dilemme, à moins que le gouvernement ne fasse ce que je pense qu’il devrait faire, à savoir vous prendre complètement sous son aile et vous dire : « Vous faites partie de notre groupe, de notre caucus. Nous veillerons à ce que vous puissiez représenter correctement votre circonscription », car c’est un point important.
Le Sénat est censé défendre les intérêts des minorités, pas uniquement des majorités. Pourtant, nous sommes presque devenus minoritaires dans cette assemblée. Nous sommes toujours le deuxième groupe en importance, et bientôt, je l’espère, nous serons bien plus nombreux. J’allais dire « bientôt, heureusement », mais nous ne savons pas avec certitude quand auront lieu les élections.
Néanmoins, sénatrice McCallum, j’appuie votre suggestion. Si le caucus conservateur peut faire quelque chose pour s’assurer que vous êtes traitée avec le respect que vous méritez, laissez-nous le savoir. J’interviendrai dans cette enceinte pour vous exprimer constamment mon appui. Nous ne nous entendons peut-être pas sur certaines questions, sénatrice McCallum, mais comme je l’ai dit par le passé, je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez exprimer vos opinions, et j’espère que vous feriez la même chose pour moi. Nous ne partageons peut-être pas toujours les mêmes opinions, mais nous nous entendons là-dessus.
Je ne prends pas souvent un verre, mais j’en ai pris un il y a quelques mois avec quelqu’un qui siège au Sénat. Je ne citerai aucun nom, mais il s’agit certainement d’un sénateur dont les opinions ont été diamétralement opposées aux miennes pour l’essentiel de nos vies. Cependant, il m’a invité à aller prendre un verre de vin avec lui. Nous voulions parler. Il m’a dit : « Vous savez, Don, vous et moi ne convenons certainement pas de la façon de réaliser l’objectif que nous voulons atteindre, mais nous convenons de l’objectif que nous voulons atteindre. Nous sommes tous deux des Canadiens passionnés. Nous croyons tous les deux fermement à notre objectif, la question est de savoir comment l’atteindre. » Je pense qu’on pourrait dire la même chose, sénatrice McCallum, de ce que vous essayez de faire.
J’ai passé une grande partie de ma vie adulte à travailler dans les régions où vous avez vécu la majeure partie de votre vie adulte. Je vois un bon nombre des problèmes. Je sais ce que vous faites. Ces dossiers me tiennent à cœur et je suis enthousiaste à l’égard de ce que vous essayez de faire au Sénat. Il est injuste que vous ne puissiez pas intervenir en temps opportun et prendre la parole. Vous avez notre soutien. Je ne sais pas non plus quelle est la réponse, mais je pense que vous devez commencer par — et je vais les mettre sur la sellette ici — aller voir le leader et la leader adjointe du gouvernement et leur dire : « Écoutez, nous faisons partie de votre caucus. Vous n’êtes pas affiliés. Nous ne sommes pas affiliés. Nous exigeons d’avoir les mêmes droits que vous. » Je vous appuierai dans cette démarche. Merci beaucoup, chers collègues.
L’honorable Ratna Omidvar : La proposition du sénateur Plett m’intrigue. Je ne suis pas au Sénat depuis aussi longtemps que vous, mais j’en sais suffisamment au sujet de la constitution actuelle du Sénat pour comprendre que le leader du gouvernement et son équipe ont certaines responsabilités. Toutefois, contrairement à d’autres groupes, ils n’ont pas le pouvoir de faire des déclarations. Ils peuvent toujours prendre la parole et faire une déclaration, bien entendu, mais ils ne peuvent pas le faire, par exemple, à chaque jour comme trois membres de votre caucus ou deux membres du nôtre.
Plus important encore, alors que les membres du bureau du représentant du gouvernement, ou BRG, sont membres d’office des comités — où, nous en conviendrons tous je crois, s’accomplit le vrai travail —, ils n’y siègent pas. Je crois que c’est ce que demande la sénatrice McCallum. J’ai entendu les sénatrices McCallum et McPhedran, lorsqu’elles faisaient partie du Groupe des sénateurs indépendants et lorsqu’elles étaient non affiliées, prendre la parole à de nombreuses occasions...
(1800)
Son Honneur le Président : Je m’excuse de vous interrompre, sénatrice Omidvar, mais il semble que nous avons atteint l’heure fatidique. Il est maintenant 18 heures, et l’article 3-3(1) du Règlement m’oblige à quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures à moins que les sénateurs consentent à ne pas tenir compte de l’heure. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : La séance est suspendue jusqu’à 20 heures.
(La séance du Sénat est suspendue.)
(Le Sénat reprend sa séance.)
(2000)
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice McPhedran, attirant l’attention du Sénat sur le privilège parlementaire, le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et les options pour accroître la responsabilité, la transparence et l’équité dans le contexte de l’autogouvernance unique du Sénat, y compris des directives par rapport à la divulgation publique.
L’honorable Ratna Omidvar : Je ne désire pas d’autres points à faire valoir. Je crois que le sens de ma question a été exprimé, et il portait plus sur les mécanismes de la proposition du sénateur Plett et sur la manière dont elle fonctionnerait exactement, vue, d’un côté, notre principe éprouvé et véritable de la proportionnalité, et, de l’autre, le fait que le bureau du représentant du gouvernement au Sénat n’a pas un nombre précis de sièges attribués aux comités ni de numéros pour les déclarations.
J’aimerais savoir si vous pouvez expliquer votre vision pour tous les sénateurs non affiliés qui seraient acceptés par le bureau du représentant du gouvernement comme étant des membres de son caucus. Je ne suis pas certaine de comprendre comment cela fonctionnerait.
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Je vous remercie, madame la sénatrice. Je me trouve probablement dans la même situation que vous. Je ne sais pas exactement comment j’envisage les choses. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai d’abord posé quelques questions à la sénatrice McCallum.
J’ai mentionné que dans l’ancienne mouture du Sénat, à l’époque où nous avions les deux caucus, il y avait aussi des sénateurs indépendants et non affiliés. C’était généralement le leader du gouvernement qui s’occupait d’eux. Je disais donc simplement qu’on pourrait reprendre cette façon de faire puisque, à ma connaissance, la sénatrice Gagné ou quelqu’un du côté du gouvernement participe aux réunions d’organisation.
Pour ce qui est du nombre de sénateurs non affiliés, je ne sais pas s’il y en a actuellement moins ou plus qu’à l’habitude, mais, à l’époque, ils ne pouvaient décidément pas poser autant de questions que l’opposition. Pendant la période des questions, les questions étaient pratiquement toutes posées par l’opposition, mises à part quelques-unes posées par le gouvernement; je le souligne tout en sachant que la discussion actuelle ne porte pas seulement sur la période des questions.
Bref, comment réimaginer le tout? Je n’en suis pas certain. Je dirais simplement que la sénatrice McCallum a soulevé de bons points qui méritent notre attention.
La sénatrice Omidvar : Très bien.
L’honorable Leo Housakos : J’ai une question pour le sénateur Plett.
Sénateur Plett, vous avez parlé du bon vieux temps au Sénat, et je me souviens de certaines de ces belles années. À mon arrivée dans cette enceinte, la situation était très simple : il y avait le gouvernement et l’opposition. Le fonctionnement à cette époque était très simple : les sénateurs votaient pour ou contre les projets de loi et les motions, et c’est tout.
À mon avis, un autre principe semble avoir disparu dans le nouveau Sénat et c’est celui du consensus. Je me souviens d’avoir siégé au comité directeur du Comité de la régie interne avec la sénatrice Cordy, quand il n’y avait que deux représentants, un du gouvernement et un autre de l’opposition. Il était clair que le principe du consensus signifiait qu’aucune décision majeure ne pouvait être prise sans d’abord consulter les sénatrices Cools et McCoy. Nous devions nous assurer que, même si elles ne siégeaient ni au Comité du Règlement ni au Comité de la régie interne, nous avions leur approbation.
Évidemment, parce que nous savions aussi que les sénateurs indépendants avaient beaucoup plus de mordant qu’aujourd’hui, le Règlement donnait les résultats voulus. C’est en appliquant le Règlement que l’heure d’ajournement et les périodes de séance étaient fixées. Le Règlement était profondément respecté dans cette enceinte parce qu’il est conçu pour faire valoir les voix minoritaires.
Dans l’esprit de la coopération, et puisque vous avez beaucoup de pouvoir en ce lieu, je propose — et c’est une bonne suggestion — que vous vous assoyiez avec les autres leaders pour trouver un compromis afin que les véritables sénateurs indépendants, ceux qui ne sont affiliés à aucun groupe, aient une place et sentent qu’ils ont une place en ce qui a trait aux questions pendant la période des questions, aux comités, et ainsi de suite.
Vous engagerez-vous à assumer ce leadership, en partenariat avec les leaders des autres groupes, et à arriver à un consensus pour que ces voix minoritaires sentent qu’ils ont leur place au sein de cette institution?
Le sénateur Plett : Merci, sénateur Housakos. Avant de répondre, j’aimerais en dire un peu plus long là-dessus et, assurément, au sujet du consensus dont vous avez parlé. J’étais membre du Comité de la régie interne et, même au sein du comité principal, il y avait consensus. Nous travaillions par consensus. Il n’y avait pas de votes. Si nous ne parvenions pas à un consensus, les choses n’avançaient pas.
Voilà que l’on nous accuse d’être de l’époque de la vilaine partisanerie, et on dirait que l’on doit dorénavant tenir des votes sur presque toutes les questions soulevées au Sénat.
Vous avez mentionné deux sénatrices, et, évidemment, de bonnes amies et de bonnes sénatrices, les sénatrices Cools et McCoy. À l’époque où elles siégeaient à titre de sénatrices indépendantes, la sénatrice Martin se réunissait avec elles tous les jours.
Le consentement des sénateurs est demandé très souvent. Je n’oserais jamais suggérer que les sénateurs affiliés puissent refuser de donner leur consentement tout aussi facilement que vous ou moi ou tout un caucus. S’ils veulent exercer leur pouvoir, ils peuvent refuser leur consentement, car les choses sont prévues ainsi, et c’est la raison pour laquelle nous négociions régulièrement avec ces sénatrices non affiliées à l’époque : elles avaient ce pouvoir. Ce pouvoir est toujours là et devrait demeurer.
J’encourage les sénateurs à en prendre note, à se faire entendre, à faire valoir leur point de vue et à s’adresser aux bonnes personnes. En toute franchise, je dirais que tous les leaders ont déjà reçu des lettres de sénateurs non affiliés qui voulaient leur demander quelque chose. J’ai toujours été d’avis que ce n’est pas à nous de faire cela, mais au gouvernement. C’est pour cela que j’ai choisi de faire cette suggestion à la sénatrice McCallum.
(2010)
Cela dit, sénateur Housakos, j’irais effectivement jusqu’à dire, à tout le moins, que je suis tout à fait disposé à en discuter et à veiller à ce que le gouvernement fasse ce qu’il devrait faire, c’est-à-dire traiter convenablement les sénateurs qui ne sont pas représentés dans un caucus.
L’honorable Patricia Bovey : Je me demande si le sénateur Plett accepterait de répondre à une autre question.
Le sénateur Plett : Je suis toujours prêt à répondre à vos questions, sénatrice Bovey.
La sénatrice Bovey : Je n’en suis pas si sûre.
En tant que leader au Sénat — et, plus tôt, vous vous êtes qualifié, à juste titre, de « doyen des sénateurs du Manitoba » —, voici une sénatrice du Manitoba qui vous pose une question et le commentaire d’un autre sénateur du Manitoba qui s’en vient.
Vous avez fait référence au « bon vieux temps ». Je suis la veuve d’un archiviste : l’archiviste du Manitoba. Je suis une historienne, bien qu’une historienne de l’art. Lorsque nous nous tournons vers notre passé, nous cherchons toujours à savoir ce que nous pouvons tirer de nos racines, afin de construire une plateforme qui nous permettra d’améliorer les choses.
Compte tenu de votre expérience ici même, qui est beaucoup plus longue que la mienne — et la mienne est un peu plus longue que celle de la sénatrice McCallum —, qu’est-ce que vous retireriez de ce « bon vieux temps » pour en faire la plateforme du présent, qui doit correspondre à la vision de l’avenir?
La société ne retourne pas en arrière: elle évolue. Nous représentons une institution majeure de la société canadienne. Monsieur le sénateur, je me demande donc si vous pouvez me rappeler — et si vous pouvez nous conseiller à cet égard — ce que vous retireriez de ce « bon vieux temps » pour aider à définir les prochaines étapes à franchir pour moderniser le Sénat, afin que tous ses membres puissent atteindre les objectifs et les sommets dont la sénatrice McCallum a parlé.
Le sénateur Plett : Sénatrice Bovey, permettez-moi de dire d’abord que je crois fermement qu’il ne vaut pas la peine de réparer ce qui fonctionne. À mon avis, pendant un certain nombre d’années, le Sénat a été une institution qui fonctionnait parfaitement bien. Je pense qu’il a bien fonctionné jusqu’à ce que le chef de ce qui était alors le troisième parti à l’autre endroit décide d’expulser sans cérémonie tous les sénateurs de sa formation politique et d’exclure son caucus d’ici. Il avait décidé de refaçonner et de moderniser lui‑même le Sénat.
Considérons la question sous cet angle — et je ne l’ai jamais mentionné parce que je n’avais pas remarqué qu’en prenant la parole pour mes amies la sénatrice McCallum et la sénatrice McPhedran, je défendais deux concitoyennes manitobaines. De mon point de vue, je ne faisais que défendre deux collègues sénatrices, mais je vous remercie de me l’avoir fait remarquer. J’ai maintenant une raison supplémentaire de défendre ce qu’elles demandent. Je vais peut-être travailler un peu plus fort pour les convaincre de réintégrer un caucus. Nous verrons bien si je réussirai.
Néanmoins, sénatrice Bovey, je tiens à dire clairement que je ne suis pas un partisan de la modernisation du Sénat. Cela dit, je souhaite nuancer mes propos. Je me suis à tout le moins pris d’affection — et c’est un bon début — pour tous mes collègues au Sénat. Je sais à quel point vous m’aimez maintenant; ce n’était probablement pas le cas auparavant, mais vous avez découvert à quel point je suis aimable. À mesure que nous apprenons à nous connaître, nous nous rendons compte que nous pouvons avoir des désaccords dans cette enceinte, argumenter et nous disputer, mais c’est quelque chose que nous ne devons absolument jamais perdre. Sénatrice Boyez, nous avons eu une conversation personnelle dans le salon Feuille d’érable à Winnipeg, il y a quelques semaines, et nous avons parlé de certains des changements.
Je veux que nous n’oubliions jamais que nous pouvons débattre d’enjeux, nous fâcher et faire des choses au Sénat en gardant à l’esprit que le but ultime est d’améliorer notre pays.
Si le Sénat moderne peut retirer quelque chose de l’ancien Sénat pour améliorer notre pays, je serai toujours en faveur de cela.
Cela dit, je serais le premier à admettre que je m’ennuie des Terry Mercer, des Serge Joyal et des George Baker de ce monde — pour ne mentionner que des sénateurs libéraux — avec qui nous avions ces débats aux comités et au Sénat. Ce sont les sénateurs Joyal et Baker qui m’ont convaincu, car je n’aimais vraiment pas siéger au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je suis plombier, pas avocat. Je ne me sentais pas à ma place, et à quelques reprises, je voulais quitter ce comité. Ce ne sont même pas mes propres collègues qui m’ont dit que je devais y rester. C’étaient les sénateurs Joyal et Baker. Ils m’ont dit : « Don, nous avons besoin d’un plombier au sein de ce comité. Nous avons besoin d’une personne qui ne pense pas et ne parle pas comme un avocat, mais plutôt comme une personne ordinaire. »
C’est la beauté du Sénat : nous sommes tous égaux ici, peu importe d’où nous venons, ce qui est bien, même dans ce Sénat moderne, sénatrice Bovey.
La sénatrice Bovey : Je ne suis pas sûre d’aimer le mot « objectif final ». Nous devrions plutôt parler d’un « objectif futur ». Je ne faisais pas partie du « bon vieux Sénat » — je ne le sais que trop bien. Je n’ai jamais eu non plus l’ambition de faire partie du nouveau Sénat. La vie est surprenante.
Toutefois, il se peut — et j’espère que vous serez d’accord avec moi sur ce point, sénateur Plett — que tous les rouages de l’ancien Sénat ne fussent pas nécessairement de « bons vieux » rouages. Ce à quoi j’essaie de nous amener — et j’espère que vous serez d’accord avec moi —, c’est la question suivante : pouvons-nous accepter de chercher l’objectif futur plutôt que l’objectif final? Et ce faisant, pouvons-nous penser aux besoins en constante évolution de la société et des communautés que nous représentons?
Il serait intéressant que vous vous posiez aussi cette question à propos de notre Manitoba en pleine évolution. N’oubliez pas que le Manitoba était la « province charnière », sénateur Plett, et ma réflexion part de ce constat. Pouvons-nous examiner comment l’histoire de notre province a changé la portée de la Confédération canadienne et a changé la dynamique de ce pays que nous appelons le Canada?
Ne devrions-nous pas chercher à savoir comment faire de cet endroit un endroit meilleur? En tant que chambre de second examen objectif, n’êtes-vous pas d’accord avec moi pour dire que nous avons la responsabilité d’examiner comment ce second examen objectif se traduit en termes d’objectifs futurs?
Le sénateur Plett : Qu’il s’agisse d’objectifs finaux ou d’objectifs futurs, certains d’entre nous — et le Sénat a ceci de particulier qu’il nous permet de parler de l’âge des sénateurs, car tout le monde peut le vérifier, et vous et moi allons prendre notre retraite à peu de temps d’intervalle — mais pour certains d’entre nous, cela ressemble davantage à la fin qu’à l’avenir.
Comme nous nous sommes un peu écartés du sujet abordé par la sénatrice McCallum, je m’en tiendrai simplement à cela.
L’honorable Sandra Lovelace Nicholas : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Plett : Certainement.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Comme vous le savez, elle appartient déjà à une minorité, et notre rôle est de représenter les minorités. Elle essaie maintenant d’éviter d’appartenir à une minorité au sein d’une minorité.
Je suis désolée. Je suis d’accord avec vous, et je suis d’accord avec la sénatrice McCallum. Nous ne devrions pas procéder ainsi. Elle appartient à une minorité au sein d’une minorité, et c’est une femme — une femme autochtone.
(2020)
Le sénateur Plett : Sénatrice Lovelace Nicholas, je suis entièrement d’accord avec vous, et c’est pourquoi j’ai appuyé les propos de la sénatrice McCallum. Je crois que cette Chambre a été créée pour représenter les minorités. Or, de ce côté-ci, nous sommes sur le point de faire partie d’une minorité nous aussi. Évidemment, dans le bon vieux temps, nous n’étions pas une minorité. Nous sommes toujours un peu plus nombreux que votre caucus; néanmoins, nous sommes de plus en plus sur le point de devenir une minorité. Cependant, j’appuie ce que vous dites.
(Le débat est ajourné, au nom de la sénatrice Pate.)
[Français]
Le Sénat
Motion tendant à inviter le premier ministre à recommander à la gouverneure générale de révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith—Ajournement du débat
L’honorable Josée Verner, conformément au préavis donné le 17 octobre 2022, propose :
Que, à la lumière des rapports du conseiller sénatorial en éthique datés du 9 mars 2017 et du 28 juin 2019 concernant les manquements de l’ancien sénateur Don Meredith au Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs ainsi que de la déclaration faite au Sénat le 25 juin 2020 par le président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration exprimant des regrets aux victimes de l’inconduite de M. Meredith, le Sénat invite le premier ministre à demander à Son Excellence la gouverneure générale de prendre les mesures nécessaires pour révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour proposer que le Sénat invite le premier ministre à demander à Son Excellence la gouverneure générale de prendre les mesures nécessaires pour révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith.
Vous vous souviendrez que j’avais déposé une motion semblable en février 2020. Cette motion est morte au Feuilleton quelques mois plus tard, lors d’une prorogation parlementaire.
Vous vous souviendrez également qu’au cours de cette période, notre institution a entrepris un processus très important pour réparer les torts ainsi que les souffrances qui ont affecté — et affectent encore aujourd’hui — les victimes de Don Meredith. Un pas important a notamment été fait le 25 juin 2020, lorsque l’honorable Sabi Marwah, qui présidait le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, a prononcé une déclaration solennelle et historique dans cette Chambre, où il a exprimé des regrets aux victimes au nom de tous les sénateurs et de l’institution du Sénat dans son ensemble. Il s’agissait de la chose « honorable » à faire.
Par ailleurs, d’autres pas ont été faits en ce sens. On peut songer notamment aux compensations financières qui ont été versées aux victimes. On a également pensé à l’avenir en adoptant la nouvelle Politique du Sénat sur la prévention du harcèlement et de la violence et en développant des formations qu’ont dû suivre les sénateurs et les employés. Cela dit, je demeure convaincue que nous devons faire un dernier pas afin de compléter ce processus de réparation, et c’est ce que je vous propose de faire avec la motion que je présente aujourd’hui.
Honorables sénateurs, je suis bien consciente qu’il s’agit d’une procédure extraordinaire inédite depuis la création de ce Parlement en 1867. Or, elle a trait à des circonstances tout aussi extraordinaires dans la longue histoire de notre institution.
Nous sommes tous privilégiés de siéger dans cette Chambre et de porter le titre d’« honorable » à des fins honorifiques et protocolaires. Ce titre est d’ailleurs inscrit au sixième alinéa du Tableau des titres à employer au Canada, où il est stipulé que nous porterons ce titre à vie. Ce tableau fait partie des directives protocolaires de Patrimoine canadien pour faciliter l’organisation d’événements spéciaux auxquels différentes personnalités politiques de la scène fédérale ou provinciale sont invitées à participer.
Cela m’amène à vous poser la question suivante : qu’est-ce que l’honneur? En quoi une personne peut-elle vraiment être qualifiée d’« honorable » au-delà d’un titre officiel? Dans sa plus simple et juste expression, le dictionnaire Le Robert définit une personne honorable de cette façon : « qui est digne, estimable, respectable ». Dans un contexte parlementaire, ce même dictionnaire apporte cette précision : « qui attire la considération, le respect, la dignité ».
Ces caractéristiques se trouvent indirectement enchâssées dans notre commission de nomination. Celle-ci a été signée par le gouverneur général du Canada, conformément à la recommandation du premier ministre, en raison « de l’espoir et de la confiance particuliers » qu’ils ont exprimés à l’égard de chacun d’entre nous.
Dès lors, nous sommes réputés « honorables » pour la durée de notre mandat. Nous avons aussi le privilège de conserver ce titre jusqu’à la fin de nos jours, après notre retraite ou notre démission du Sénat. Ainsi, ce titre nous permet notamment d’assister à des cérémonies ou à des funérailles d’État aux côtés des sénateurs qui sont en fonction.
Honorables sénateurs, nous comprenons aussi que ce titre comporte des responsabilités et des obligations importantes. À cet égard, l’article 7.1 du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs stipule que nous devons adopter une conduite qui respecte les normes les plus élevées de dignité et nous abstenir de tout acte qui pourrait déprécier la charge de sénateur ou l’institution du Sénat. L’article 7.2 énonce que nous devons exercer nos fonctions parlementaires avec dignité, honneur et intégrité.
Honorables sénateurs, deux rapports du conseiller sénatorial en éthique, l’un publié le 9 mars 2017 et l’autre le 28 juin 2019, ont déterminé que l’ancien sénateur Don Meredith avait contrevenu aux articles 7.1 et 7.2 de notre code. Il est inutile de rappeler les constats accablants de ces deux rapports. Cependant, nous devons tous nous poser très sérieusement la question suivante : comment se fait-il qu’un ancien sénateur lié à ces événements puisse conserver son titre d’« honorable »? Voudrions-nous vraiment le côtoyer lors de cérémonies d’État ou constater qu’il utilise toujours son titre dans le domaine public?
Chers collègues, nous avons souligné le 15 octobre dernier le cinquième anniversaire du mouvement #MoiAussi, qui a ramené au-devant de l’actualité des réflexions et des discussions que j’avais déjà lancées en février 2020. Ainsi, certains d’entre vous, dont la sénatrice Miville-Dechêne, qui appuie ma motion, m’ont récemment encouragée à aller encore une fois de l’avant, étant donné la reprise normale des délibérations du Sénat. Je tiens d’ailleurs à les remercier.
Cette motion répond également à un souhait exprimé par certaines victimes au cours de conversations privées qui se sont tenues avec moi ainsi qu’avec d’autres collègues. Hautement symbolique, il s’agit d’une mesure importante pour elles. Dans ce contexte, nous n’avons aucune autre option que celle d’inviter le premier ministre à demander à la gouverneure générale de prendre les mesures nécessaires pour révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith.
N’oublions pas que, dans notre régime constitutionnel, seul le premier ministre peut recommander à la gouverneure générale la nomination d’un sénateur, ainsi que l’octroi du titre « honorable » associé à cette fonction. Il est donc la seule personne en autorité au Canada à pouvoir recommander à la gouverneure générale d’utiliser sa prérogative afin de retirer ce titre à Don Meredith.
Par conséquent, je sollicite votre appui pour parler d’une seule voix dans cette Chambre afin d’envoyer un message clair au premier ministre dès maintenant. Cette décision soulignera notre détermination à faire ce dernier pas dans cette affaire malheureuse qui nous a toutes et tous entachés.
Je vous remercie de la considération que vous porterez à cette motion et j’espère pouvoir compter sur votre appui.
Des voix : Bravo!
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je prends la parole brièvement aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Josée Verner. Il est entendu que cette motion et le débat que nous tenons aujourd’hui n’ont aucun lien avec quelque procédure que ce soit, devant quelque tribunal que ce soit.
Je prends la parole à titre de sénatrice, bien sûr, mais aussi comme femme. Je ne doute pas que mes collègues masculins au Sénat partagent mon indignation, notre indignation, mais, en ce cinquième anniversaire du mouvement #MoiAussi, il est clair que les enjeux dont nous parlons maintenant résonnent particulièrement chez les femmes.
(2030)
La question dont nous débattons aujourd’hui concerne uniquement le retrait du titre d’« honorable » de l’ex-sénateur Meredith. J’aimerais toutefois rappeler deux choses qui ne font pas l’objet d’un débat.
La première, ce sont les actions de Don Meredith qui ont mené au scandale, aux enquêtes et à sa démission du Sénat. Tout est décrit en détail dans les deux rapports du Bureau du conseiller sénatorial en éthique. Ce qu’on y trouve est révoltant — une espèce de manuel du tyran et de l’agresseur, convaincu d’être au-dessus des lois. Il ne faudrait pas laisser le passage du temps effacer le caractère grave et répugnant de ces gestes. C’est le minimum que nous devons aux victimes.
L’autre chose qui me semble indiscutable, c’est que Don Meredith a déjà perdu son honneur, du moins, à l’extérieur de cette enceinte. Ses gestes l’ont disqualifié de la considération du public. Il a souillé son nom et l’image du Sénat.
Pourtant, Don Meredith garde encore son titre d’« honorable ». Il s’agit d’une incohérence gênante et ridicule. Le Sénat n’a pas le pouvoir d’enlever ce titre. Il ne peut que presser le gouvernement de demander à la gouverneure générale de le faire.
À la base, je n’aime pas les titres qu’on accorde aux personnes en raison de leur fonction. Je note d’ailleurs que le Québec n’utilise plus ces titres parlementaires depuis 1960. Cette pratique rejoint mes préférences. Pour ma part, je n’ai jamais utilisé le titre d’« honorable », même si je crois évidemment à l’importance d’être honorable dans l’exercice de mes fonctions.
J’ajoute que ce serait une chose que de limiter l’utilisation de ces formules aux débats parlementaires, où ils peuvent contribuer à maintenir la civilité des échanges. Cependant, je n’ai pas beaucoup d’attachement pour ces titres quand ils sont utilisés à l’extérieur du Parlement.
C’est particulièrement le cas lorsqu’ils sont utilisés par des gens qui s’en sont montrés indignes. La conseillère sénatoriale en éthique du Sénat a constaté dans son rapport que Don Meredith a violé son obligation de maintenir, et je cite :
[...] une conduite qui respecte les normes les plus élevées de dignité […] et il doit s’abstenir de tout acte qui pourrait déprécier la charge de sénateur ou l’institution du Sénat.
Dans cette affaire, je pense que les faits parlent d’eux-mêmes.
Le processus d’enquête a été rigoureux et il s’est étalé sur quatre ans, ce qui est très long, trop long. Aujourd’hui, nous avons enfin une manière symbolique de boucler la boucle et de mettre un point final à cet épisode qui a nui à la réputation de notre institution.
[Traduction]
Je vous exhorte, honorables collègues, à mettre cette question aux voix maintenant. Merci.
[Français]
L’honorable Raymonde Saint-Germain : La sénatrice Miville‑Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Miville-Dechêne : Certainement.
La sénatrice Saint-Germain : Sénatrice, j’aimerais d’abord vous remercier et vous féliciter, de même que la sénatrice Verner, de votre initiative qui, je crois, est une initiative d’intérêt.
La sénatrice Verner, lors de son discours, a parlé d’un « processus extraordinaire, inédit dans l’histoire du Sénat », ce qui est vrai; cependant, parce que cela est vrai et nonobstant la noblesse de la cause et le désir profond que je pourrais moi-même avoir que ce que l’on souhaite voir arriver à cet ex-sénateur arrive rapidement, je crois quand même qu’il n’y a pas matière, ce soir, à priver des collègues qui veulent également intervenir dans le débat sur cette question et qui aimeraient peut-être s’assurer de la constitutionnalité de la motion que nous présentons.
Je pense qu’il n’y a pas de raison de les priver de cette occasion, alors, pourquoi donc cette précipitation à demander le vote maintenant?
La sénatrice Miville-Dechêne : Nous avons eu cette discussion, la sénatrice Verner et moi. Comme vous le savez, c’est d’abord l’initiative de la sénatrice Verner, mais j’ai bien sûr immédiatement accepté de la seconder. Il s’agit d’un débat difficile. C’est un débat que nous ne voulons pas prolonger étant donné la nature des faits qui nous salissent tous un peu. L’idée n’est donc pas de tenir un débat long avec une pause en raison d’un ajournement du débat; il s’agit tout de même d’une histoire qui traîne et qui nous fait mal depuis longtemps. L’idée d’avoir un débat court où l’on s’entend tous est évidemment une idée qui me plaît.
Je comprends toutefois ce que vous nous dites. J’ai le sentiment, étant donné que cette affaire fait partie de notre histoire depuis longtemps, que les sénateurs se sont fait une idée. Après tout, est-ce si difficile de s’entendre sur le fait que le sénateur Meredith ne mérite pas son titre d’« honorable »? Cela tombe sous le sens. Les deux rapports que j’ai relus sont dévastateurs, et ce sont des rapports produits par notre conseillère sénatoriale en éthique, grâce à nos mécanismes internes. J’ai donc le sentiment que la question est relativement simple.
J’ai consulté des gens avant de rédiger ce texte, afin de m’assurer qu’il respectait les différents écueils juridiques possibles. Est-ce qu’il y a des problèmes constitutionnels? Je suis certaine que la sénatrice Verner a fait rédiger cette motion par un légiste qui a une formation. Je ne suis évidemment pas juriste, mais a priori je ne vois pas de problème constitutionnel. Voilà mon point de vue.
La sénatrice Saint-Germain : Je pense que, au nom du droit des sénateurs de s’exprimer sur une question aussi importante et au nom de la responsabilité que nous avons de nous assurer que ladite motion est constitutionnelle — encore une fois, ce n’est pas contre l’objectif à atteindre que je me prononce —, je propose l’ajournement du débat en mon nom.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
[Traduction]
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : J’ai entendu un « non ». Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l’emportent.
Et deux honorables sénateurs s’étant levés :
Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il entente au sujet de la sonnerie?
Une voix : Une heure.
Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 21 h 37. Convoquez les sénateurs.
(2130)
La motion, mise aux voix, est adoptée :
POUR
Les honorables sénateurs
Bellemare | Housakos |
Boniface | Klyne |
Bovey | Lovelace Nicholas |
Busson | MacDonald |
Clement | Manning |
Cordy | Martin |
Cotter | Marwah |
Coyle | Mégie |
Dalphond | Mockler |
Deacon (Nouvelle-Écosse) | Oh |
Duncan | Omidvar |
Dupuis | Petitclerc |
Francis | Plett |
Gagné | Ringuette |
Gerba | Saint-Germain |
Gold | Seidman |
Harder | Simons—34 |
CONTRE
Les honorables sénateurs
Audette | Patterson |
Black | Quinn |
Boisvenu | Ravalia |
Gignac | Smith |
Greene | Sorensen |
Loffreda | Tannas |
Marshall | Verner |
McCallum | Wallin—17 |
Miville-Dechêne |
ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun
(2140)
La violence entre partenaires intimes
Interpellation—Ajournement du débat
L’honorable Gwen Boniface, ayant donné préavis le 29 septembre 2022 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.
— Honorables sénateurs, je vous remercie de votre indulgence à cette heure avancée. Je prendrai seulement environ 12 minutes, à moins que vous ayez des questions.
Le 22 septembre 2015, trois femmes ont perdu la vie, victimes d’un seul homme. Il s’est déplacé dans le comté de Renfrew, en Ontario, pas très loin du lieu où nous sommes rassemblés, pour s’en prendre à ces femmes sur leur propre propriété, dans leur propre domicile, dans ce qui s’est avéré être des attaques brutales et ciblées. Carol Culleton, âgée de 66 ans, Anastasia Kuzyk, âgée de 36 ans, et Nathalie Warmerdam, âgée de 48 ans; trois personnes qui ont été tuées tragiquement et impitoyablement.
Malheureusement, tous les signes avant-coureurs étaient là, mais personne ne s’en est aperçu. L’auteur de ces attaques avait de longs antécédents de violence contre les femmes. De multiples évaluations avaient conclu qu’il posait un danger élevé. Il était connu des policiers et était en probation lorsqu’il a commis ces meurtres. Il a transgressé impunément les ordonnances de la cour et n’a pas participé au programme de counselling de groupe qui lui avait été imposé, offrant excuse après excuse à son agent de libération conditionnelle. Jamais il n’a été accusé d’avoir manqué aux conditions de sa libération.
Pour des raisons que j’ignore, il a même été autorisé à déménager plus près d’une ancienne victime de ses mauvais traitements, qui est devenue plus tard l’une des victimes des meurtres qu’il a commis.
À la suite de cette atrocité, une enquête du coroner en chef a été menée après bien des retards causés par la pandémie. Les recommandations — il y en a plus de 80 — ont été publiées en juin dernier. Ces recommandations détaillées et d’une grande portée ciblent le gouvernement de l’Ontario, le contrôleur des armes à feu, le Bureau du coroner en chef, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et le gouvernement du Canada.
Des enquêtes sont menées pour informer le public des circonstances d’un décès. Les conclusions des enquêtes ne sont pas contraignantes, mais on espère toujours que toutes les recommandations, si elles sont mises en œuvre, préviendront d’autres décès.
Certains d’entre vous se rappelleront peut-être une autre enquête notoire sur la violence entre partenaires intimes, qu’on appelait alors la violence conjugale, qui a eu lieu en Ontario dans les années 1990. L’enquête May-Iles de 1998 a mené à plus de 200 recommandations, qui portaient notamment sur les services de police, l’assistance aux victimes, l’éducation, la formation et tous les aspects du système de justice.
L’affaire impliquait un meurtre suivi d’un suicide : Arlene May, la victime, et Randy Iles, le coupable. M. Iles avait des antécédents criminels qui incluaient des condamnations pour outrage à la pudeur, appels harcelants, manquements aux conditions de probation, possession de biens volés et infraction liée aux armes à feu. Mme May et M. Iles entretenaient une relation, et Mme May a subi une agression en novembre 1995. Elle a été signalée à la police après une visite à un refuge pour femmes. M. Iles a comparu pour la dernière fois devant la cour, dans le comté de Grey, le 29 février 1996 et il a été libéré à la condition de quitter le territoire du tribunal.
Son casier judiciaire fourni au tribunal pour cette comparution avait été imprimé le 26 février. Malheureusement, ce que l’on ignorait au moment de sa libération, le 29 février, c’est qu’il faisait également l’objet d’un mandat d’arrêt dans l’administration voisine, le comté de Simcoe, qui n’avait été inscrit dans le système que le 27 février. Par conséquent, le dossier de sa comparution du 29 février ne comprenait pas le mandat d’arrêt du 27 février.
M. Iles a déménagé avec sa famille dans la région d’Oshawa, et, le 6 mai, un autre mandat a été lancé dans le comté de Grey parce qu’il avait communiqué avec Mme May. Après que son avocat l’a informé de ce nouveau mandat, M. Iles a acheté une arme à feu à Oshawa, il a loué une camionnette et il s’est rendu au domicile d’Arlene May. C’est là qu’il l’a tuée et qu’il s’est suicidé.
Cette affaire de même que des enquêtes subséquentes ont permis d’identifier des lacunes dans le processus qui auraient pu éviter la tragédie, comme la lacune dans la tenue des dossiers qui a empêché de connaître l’existence du mandat d’arrêt dans le comté de Simcoe, et le fait de ne pas avoir exigé la remise de l’Autorisation d’acquisition d’armes à feu de M. Isles comme condition de sa libération sous caution. Cela n’a pas été inscrit dans son engagement.
À l’époque de l’enquête sur l’affaire May-Iles — et je m’en souviens très bien —, notre compréhension de la violence entre partenaires intimes était moindre qu’elle l’est aujourd’hui. Pourtant, après un examen aussi détaillé de l’affaire May-Iles et 200 recommandations, comment pouvons-nous nous retrouver dans une position similaire 24 ans plus tard?
Depuis 1998, il y a beaucoup plus de mesures de soutien gouvernementales en place, et les gens qui travaillent dans notre système de justice — espérons-le — sont davantage conscients des facteurs de risque, tout comme leurs partenaires policiers.
Même si nous comprenons mieux la violence entre partenaires intimes, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Malheureusement, les meurtres commis dans le comté de Renfrew ne sont qu’un seul exemple de notre incapacité chronique à reconnaître le risque d’une telle violence et à nous y attaquer. Par exemple, la violence entre partenaires intimes en milieu urbain pose des défis particuliers, qui sont très différents de ceux en milieu rural. L’enquête menée sur les meurtres commis dans le comté de Renfrew a révélé les difficultés associées à la lutte contre la violence entre partenaires intimes en milieu rural. Certaines des recommandations suivantes formulées dans le cadre de l’enquête portent sur les réalités de la vie dans les régions rurales du Canada, surtout pour les femmes.
La recommandation 19 suggère la création d’un fonds d’urgence pour, entre autres, reconnaître les besoins des survivants de la violence entre partenaires intimes qui vivent dans des zones rurales ou géographiquement éloignées.
La recommandation 20 reconnaît que le financement dans les zones éloignées ou rurales ne peut pas être l’équivalent par habitant du financement en milieu urbain, et qu’il faudrait prendre en compte l’indice d’éloignement utilisé pour calculer le financement d’autres services sociaux, tels que l’éducation et la police.
La recommandation 29 vise à fournir une éducation et une formation professionnelles au personnel du système de justice sur les questions liées à la violence entre partenaires intimes, qui devraient inclure les facteurs uniques aux régions rurales.
La recommandation 52 vise à étendre le service cellulaire et Internet haute vitesse dans les régions rurales et éloignées.
À l’été de 2020, mon bureau a demandé l’aide d’une étudiante en droit, Kallisti Sipidias, pour effectuer des recherches sur les personnes victimes de violence conjugale dans les refuges pour femmes de l’Ontario. Elle a fait de l’excellent travail. Elle a communiqué avec de nombreux refuges pour femmes afin de discuter de leurs expériences et des problèmes auxquels ils ont dû faire face. Ces recherches portaient en partie sur les effets de la pandémie, mais surtout sur la situation dans son ensemble. Selon les résultats de ses recherches, parmi les problèmes observés, il y a des refuges qui doivent fonctionner au maximum de leur capacité et qui ne sont pas en mesure de répondre à de nombreuses demandes, une pénurie de logements abordables dans lesquels les femmes pourraient emménager, et les tracasseries administratives entourant l’accès à un logement abordable. Les refuges n’ont pas accès non plus à un financement fédéral adéquat. Kallisti a découvert, par exemple, que le gouvernement provincial offre du financement pour couvrir de 50 % à 80 % de l’ensemble des coûts de fonctionnement des refuges. Dans bien des cas, les refuges doivent combler le manque à gagner en organisant des activités de financement et en demandant des subventions fédérales. Les subventions fédérales sont temporaires et souvent offertes de façon intermittente. Quant aux activités de financement servant à couvrir les coûts de fonctionnement, elles demandent beaucoup de temps et de ressources humaines, ce dont les refuges ne disposent pas suffisamment. Cela crée une situation d’épuisement qui finit par avoir des conséquences pour ceux qui gèrent les refuges et pour ceux qui ont désespérément besoin de leurs services.
(2150)
J’ai été heureuse de constater que les réalités dont Kallisti a rendu compte sont prises en considération dans le rapport d’enquête. La recommandation no 21 demande au gouvernement provincial d’élaborer un plan pour améliorer l’offre de logements de seconde étape pour les survivantes. La recommandation no 20 demande à ce que l’on révise le mode de financement public de façon à ce que les fournisseurs de services obtiennent un financement annualisé, comme tous les autres services publics, et à ce qu’on améliore le financement en tenant compte des différences entre les réalités des régions rurales et celles des régions urbaines.
Les communautés rurales font face à d’autres défis auxquels beaucoup d’entre nous ne songent pas parce qu’il s’agit de choses que nous tenons pour acquises. L’accès à l’Internet et au réseau cellulaire peut être limité, voire inexistant, dans les localités rurales. Les femmes peuvent ne pas avoir accès à un moyen de transport personnel et encore moins aux transports publics, si tant est qu’ils soient offerts. Pour se prévaloir de services existants, qui peuvent être à des heures de route, il faut parfois livrer une âpre lutte. Tous ces éléments sont mentionnés dans les recommandations de l’enquête. Mais avant même de prendre la décision de recourir à des services, de nombreuses raisons personnelles peuvent empêcher les victimes de violence entre partenaires intimes de se manifester.
Comme Pamela Cross, une avocate spécialisée dans la violence envers les femmes, l’a déclaré au Ottawa Citizen :
Le manque d’anonymat dans les collectivités rurales empêche certaines femmes de chercher de l’aide [...] Il y a peut-être une amie qui travaille au refuge. L’agent de la Police provinciale de l’Ontario qui répond à un appel peut jouer au hockey avec le partenaire de la femme. La mère du partenaire peut voir la voiture de la femme garée devant un cabinet d’avocats.
Cela entraîne un degré accru de complexité dans les collectivités rurales. La culture de la vie rurale, très soudée, ne permet pas beaucoup de secrets, ce qui suffit à dissuader les femmes de porter plainte auprès des autorités ou de chercher de l’aide par elles‑mêmes.
Malheureusement, honorables sénateurs, c’est une épidémie. La première recommandation de l’enquête consiste à déclarer officiellement la situation comme telle. Ce qui est encore pire, c’est que la violence envers un partenaire intime est plus fréquente dans les régions rurales, et que l’augmentation de ce type de violence s’accompagne d’une augmentation du nombre d’actes de violence commis contre un partenaire intime avec une arme à feu. Dans le cas du triple homicide dans le comté de Renfrew, le moyen privilégié par le délinquant pour commettre deux des meurtres était une arme à feu; la première femme a été étranglée. Les chiffres de 2020 indiquent que 8,1 femmes ont été victimes d’actes de violence commis contre un partenaire intime avec une arme à feu pour 100 000 femmes dans les régions rurales du Sud, et 31 pour 100 000 dans les régions rurales du Nord. Dans les zones urbaines, ce chiffre était de 4,1.
Dans les trois catégories, le nombre d’hommes victimes d’actes de violence commis contre un partenaire intime avec une arme à feu était faible par rapport au nombre de femmes. Dans l’ensemble, une femme victime de violence commise avec une arme à feu sur quatre était la cible d’un conjoint ou d’un partenaire intime actuel ou ancien.
Par ailleurs, le nombre d’homicides par arme à feu brosse un tableau très sombre de la situation des femmes. Entre 2015 et 2020, les chiffres relatifs aux homicides par arme à feu indiquent que dans les affaires résolues, 70 % des homicides ont été commis par un conjoint, actuel ou ancien, un autre partenaire intime ou un membre de la famille.
Bien qu’il s’agisse de statistiques globales pour l’ensemble du Canada, la situation est encore plus grave dans les régions rurales. La proportion d’homicides par arme à feu dont les femmes sont victimes et qui ont été commis par un conjoint, un partenaire intime ou un membre de la famille atteint 84 % dans les régions rurales du Canada et 81 % dans le Nord, comparativement à 62 % dans les régions urbaines.
J’ai décrit ces deux enquêtes, qui sont séparées par plusieurs décennies, pour aider mes honorables collègues à comprendre la situation à laquelle nous sommes toujours confrontés aujourd’hui. Malgré les progrès réalisés, nous n’avons pas encore créé de milieux toujours sûrs pour les victimes de violence perpétrée par un partenaire intime, ni réduit le nombre d’incidents de violence envers les femmes, loin de là.
Les responsables de l’enquête menée dans le comté de Renfrew souhaitent que ce problème soit considéré comme une épidémie. Tous les ordres de gouvernement devraient y voir un signal d’alarme. Les partenaires intimes, surtout les femmes, risquent encore d’être victimes de violence en raison du mode de financement d’une année à l’autre, de l’épuisement du personnel, des refuges surpeuplés et des failles du système. Les recommandations ne valent pas grand-chose si elles ne sont pas suivies d’actions concrètes. Bien que je me concentre sur la situation de l’Ontario, le reste du pays n’est pas à l’abri de cette épidémie.
Les interpellations du Sénat servent à attirer l’attention de la Chambre haute sur un enjeu. La question que j’ai abordée constitue, selon moi, en enjeu qu’il faut mettre en évidence. Les interpellations ne donnent pas lieu à un vote, mais j’encourage toutefois les sénateurs à présenter la perspective de leur région afin de faire avancer les récits sur la violence entre partenaires intimes, pour la sécurité de toutes les victimes passées, actuelles et futures. Merci, meegwetch.
(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)
(À 21 h 56, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)